Les prix des céréales et du pétrole sont sous tension, accentuée par le conflit russo-ukrainien.
La facture des importations va être salée.
L’inflation importée reste fortement ressentie par les citoyens, particulièrement au niveau des prix à la pompe.
Par D. William
La reprise économique postCovid-19, la sécheresse sévère que traverse le Royaume, la hausse des prix des matières premières à l’international et la guerre inattendue en Ukraine ont fait capoter les plans du gouvernement. Toutes les hypothèses de la Loi de Finances 2022 sont déjà désuètes, notamment une récolte céréalière de 80 millions de quintaux, un prix du gaz butane à 450 dollars la tonne et, à la clé, une croissance de 3,2% du PIB. L’Exécutif est actuellement confronté à deux problématiques devant lesquelles il reste spectateur, faute de pouvoir agir : la sécheresse et l’inflation importée. Le Maroc fait en effet face à un déficit hydrique sévère. Les retenues des barrages ont atteint, à fin février dernier, 5,3 milliards de mètres cubes (m3 ), soit un taux de remplissage de l'ordre de 32,7% contre 49,1% à la même période de l'année dernière.
Selon le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka, le volume total de mobilisation des ressources en eau enregistré dans l'ensemble des barrages dans le Royaume s'est chiffré à 732 millions m3 durant la période allant du 1er septembre 2021 au 28 février dernier, soit un déficit de l'ordre de 89% par rapport à la moyenne annuelle. Le taux actuel se situe à moins de 33% par rapport aux périodes de sécheresse dans les années 80 et 90, précise-t-il. Conséquence : au regard de la situation actuelle, le Maroc ne peut même pas espérer une campagne agricole moyenne. Les experts tablant sur une récolte céréalière entre 30 et 50 millions de quintaux.
Le baril du pétrole à plus de 125 dollars
Parallèlement, le Maroc subit de plein fouet la flambée des cours des matières premières, notamment celle des céréales et des produits énergétiques qui sont au plus haut depuis 2009. Il y a deux ans, le cours du blé se négociait sur le marché international à 180 euros la tonne, alors qu’il atteint plus de 400 euros la tonne actuellement. Cette pression sur les prix risque de se maintenir, d’autant que l’Ukraine, producteur agricole de rang mondial et «grenier à céréales» pour le reste du monde, a décidé de restreindre ses exportations concernant, entre autres, le blé, l’avoine, la viande de bétail… Pour sa part, le prix du gaz butane dépasse 850 dollars la tonne, tandis que le prix du baril de brent de la mer du Nord se situait mercredi matin à plus de 130 dollars, après avoir frôlé 140 dollars lundi, son plus haut niveau depuis juillet 2008. Et dans ce contexte de conflit armé entre l’Ukraine et la Russie, laquelle est le deuxième producteur de pétrole au monde derrière les Etats-Unis et devant l’Arabie Saoudite, rien ne milite en faveur d’une chute des cours de l’or noir. Cette escalade militaire accentue en effet les tensions sur le marché mondial de l’or noir qui connaissait déjà des problèmes d’approvisionnement et une flambée des prix, à la faveur notamment de la reprise économique.
«Le pétrole a atteint 140 USD en raison de possibles restrictions sur les exportations russes. Jusqu'à présent, tout le package de sanctions économiques imposées à la Russie avait exclu le secteur énergétique, car l'Europe en est fortement dépendante. La Russie est le deuxième producteur mondial, mais surtout, contrairement aux États-Unis qui consomment ce qu'ils produisent, la Russie exporte 74% de sa production. Ce serait donc un manque immédiat ressenti sur le marché mondial», confirme l’économiste Omar Fassal. En cela, les pays de l’OPEP+ se sont réunis la semaine dernière pour décider de la stratégie à adopter. Mais, malgré le contexte géopolitique actuel, rien n’en est sorti, puisque l’Organisation a décidé d'augmenter sa production de 400.000 barils par jour en avril, comme c'est le cas tous les mois depuis l'an dernier. Une mesure jugée décevante par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), car très insuffisante pour atténuer la hausse des cours.
En effet, l’OPEP+ a acté, depuis mai 2021, une production supplémentaire de 400.000 barils par jour pour accompagner la reprise économique et éviter une hausse des prix. Sauf que l’offre n’a pas suivi face à une demande galopante : ce ne sont que 64.000 barils/ jour qui auraient été produits en plus entre décembre 2021 et janvier 2022. Cela explique les tensions sur le marché mondial. De plus, la volonté de l’OPEP+ d’augmenter la production se heurte à plusieurs contraintes, dont la première est technique : avec la crise sanitaire, certains pays n’ont pu investir dans des infrastructures à cause de la chute vertigineuse des revenus pétroliers. De fait, plusieurs pays ne peuvent produire davantage. Ceux qui peuvent le faire, comme notamment l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, ont les mains liées par les règles de l’OPEP+, qui imposent un quota de production à chaque pays. Et c’est là la seconde contrainte. Troisième contrainte : en raison des sanctions contre l’Iran, le pétrole de ce pays n’est pas commercialisé sur le marché mondial. Tout cela participe à cette flambée des prix. Cette situation contraint donc les pays occidentaux à puiser dans leurs réserves stratégiques. Le président américain Joe Biden a ainsi promis de mettre sur le marché 30 millions de barils/jour, auxquels devraient s’ajouter 30 autres millions de barils/jour provenant des pays de l’AIE. Pas sûr cependant que cela suffise à desserrer l’étau sur les prix, compte tenu notamment de la guerre en Ukraine.
«Comme on n'aperçoit aucune désescalade en vue dans ce conflit, on ne peut espérer une baisse du pétrole que si deux conditions sont réunies. D'abord, il faudrait que l'industrie du pétrole de schiste américain, qui dispose d'un outil de production très flexible, augmente rapidement sa production (qui est rentable pour eux à ce niveau de cours). Ensuite, il faudrait que les majors du secteur reprennent activement leurs investissements sur le forage et l'exploration, quitte à dégrader leur empreinte carbone. Les pays africains producteurs, au sous-sol riche en hydrocarbures, pourraient d'ailleurs profiter de ce regain d'intérêt des compagnies pétrolières», analyse Fassal. Et de conclure que «si ces deux conditions ne sont pas réunies, le prix devrait rester à des niveaux soutenus, ce qui ne manquera pas de pénaliser la relance mondiale post-covid et d'impacter les balances de paiement des pays importateurs».
Dans le même sens, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international estiment que «les prix des matières premières sont poussés à la hausse et risquent d'alimenter davantage l'inflation, qui frappe le plus durement les pauvres». Au Maroc, cette inflation importée reste très ressentie par les citoyens, particulièrement au niveau des prix à la pompe : le gasoil est au-dessus de 11 DH le litre, alors que le sans plomb flirte avec les 13 DH le litre. Avec un risque de voir ces prix augmenter si le conflit entre l’Ukraine et la Russie persiste.