Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, instauré par l’UE, entrera entièrement en vigueur le 1er janvier 2026, avec une période transitoire allant du 1er octobre 2023 au 31 décembre 2025.
Le secteur industriel a entamé sa transition verte, avec l’objectif de mieux se positionner dans les chaînes de valeur régionales et mondiales.
Par D. William
L’Union européenne est décidée à verdir son économie et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. C’est dans ce cadre que s’inscrit le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), visant à fixer un prix carbone pour les importations de certains produits au sein de l’UE. Objectif de cette mesure : pousser les «pays non membres de l'UE à accroître leur ambition climatique».
Ce mécanisme impose l’accélération de la mise en place d’un modèle économique marocain durable et propre donnant un meilleur accès aux marchés étrangers. C’est pour débattre de cette problématique que Finances News Hebdo organise, ce jeudi 6 avril à Casablanca, un ftour débat sous le thème «Taxe carbone : Contrainte ou opportunité pour le Maroc» ? Le MACF entrera entièrement en vigueur le 1er janvier 2026, avec une période transitoire allant du 1er octobre 2023 au 31 décembre 2025.
Dans un premier temps, ce dispositif ne comportera qu’une obligation déclarative du bilan carbone et ne seront concernés qu’un certain nombre de produits parmi «les plus exposés à un risque de fuite de carbone», à savoir le ciment, le fer & acier, l’aluminium, les engrais, l’électricité et l’hydrogène. Pays dont l’économie est ouverte sur l’extérieur, le Maroc devra s’adapter à cette nouvelle réalité de l’environnement industriel international pour ancrer davantage son positionnement dans les chaines de valeur mondiale. Le verdissement de l’industrie n’est donc pas un choix, mais un impératif. Surtout au regard des étroites connexions entre les économies marocaine et européenne.
Principal partenaire économique du Maroc, l’UE absorbe plus de 60% de ses exportations en moyenne. Selon Bank Al-Maghrib, sur un chiffre d’affaires à l’export de 167,8 milliards de dirhams en 2020, environ 3% ont été réalisés par les secteurs qui seront concernés par la première phase du MACF, dont essentiellement celui des engrais. Dans ce sens, une étude rendue publique en juillet 2021 par la Cnuced montre que la mise en œuvre du MACF entraînerait des coûts importants pour les économies en développement, en particulier les partenaires commerciaux africains, car ces économies seraient confrontées à des tarifs importants compte tenu des émissions de carbone associées à leurs produits. Ainsi, outre les économies à faible revenu qui seront les plus touchées et qui comprennent les pays africains exportateurs de carburant tels que le Cameroun, l'Égypte et le Nigéria, d'autres économies africaines telles que le Maroc, le Congo, le Ghana et le Zimbabwe seraient également affectées en raison de l'importance relative de leurs exportations affectées par le MACF.
De fait, une taxe sur les émissions de CO2 induirait une diminution des exportations marocaines des produits à forte intensité énergétique de 1,06%, pour un tarif fixé à 44 dollars la tonne, et de 1,95%, pour un barème de 88 dollars par tonne. Par ailleurs, ce mécanisme «aurait cependant un impact beaucoup plus important si son champ d'application est étendu à une liste plus large de produits et de services ou aux émissions indirectes, telles que celles provenant de l'électricité utilisée dans les processus de production.
En effet, l’économie nationale reste très intensive en émissions», fait savoir la Banque centrale. Selon les données de la Banque mondiale reprises par BAM, par unité de valeur ajoutée, le Maroc émet 46% de CO2 de plus que la moyenne mondiale et 3,4 fois plus que la zone Euro. Comparativement à ses principaux concurrents sur le marché de l’UE, son taux d’émission est comparable à celui de l’Egypte, plus élevé que ceux des pays tels que la Turquie et les Etats-Unis, mais reste inférieur à ceux d’autres économies comme la Russie ou la Chine.
Un challenge pour l’industrie
Actuellement, le défi majeur pour le Royaume est de s’orienter vers une industrialisation à faible empreinte carbone. «Au regard des délais que requiert l’adaptation des processus de production aux exigences en matière de contenu carbone et des coûts élevés que cela engendre, il est impératif d’accélérer la mise en œuvre des différentes stratégies lancées par le Maroc dans ce domaine, dont notamment celles d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables ainsi que celle à bas carbone à l’horizon 2050, qui vise en particulier une électricité décarbonée de 80%», recommande à ce titre Bank Al-Maghrib. Au-delà des défis que pose l’écologisation de l’industrie, cette dernière constitue cependant une formidable opportunité pour le Maroc de consolider et d’élargir son positionnement sur le marché européen en particulier, compte tenu de son large potentiel en énergies renouvelables, particulièrement dans l’éolien, le solaire et les énergies marines.
Said Mouline, Directeur général de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE), ne dit pas autre chose. Selon lui, «la décarbonation est devenue un enjeu majeur pour l'économie mondiale, et le Maroc ne fait pas exception». Et de poursuivre que «dans le contexte de notre pays, grâce à la vision royale de 2009 donnant priorité aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique, elle n’est plus une contrainte, mais une réelle opportunité, vu aussi notre potentiel exceptionnel qui rend le coût de l’énergie verte très compétitif».
«Les entreprises, en jouant la carte de la décarbonation, seront également plus performantes face aux taxes carbone qui se préparent, tout en réduisant leurs factures énergétiques ainsi que leurs émissions», conclut-il. C’est pourquoi la décarbonation industrielle occupe une place centrale dans le nouveau modèle de développement, l’objectif étant de faire du Royaume un champion de l’énergie verte et compétitive.
«La transition accélérée du Maroc vers une économie sobre en carbone et compétitive, attractive pour une utilisation industrielle, permettrait de faire du Royaume une référence en termes de modes de production décarbonée, responsable et durable. Cela permettrait d’élargir l’accessibilité de l’offre exportable marocaine aux marchés porteurs et d’attirer sur le territoire national des investisseurs étrangers en quête d’opportunités dans les secteurs de l’économie verte», souligne-t-on à cet effet. Dans ce cadre, un certain nombre de dispositifs sont en train d’être déployés par le gouvernement, dont notamment le programme visant à doter toutes les zones industrielles d’une énergie électrique propre et compétitive.
Objectif : verdir les process de production pour réduire l’empreinte carbone des unités industrielles, en particulier celles orientées vers l’export. Le programme «Tatwir Croissance verte», lancé en janvier 2021, s’inscrit également dans la même veine. Déployé à travers Maroc PME et l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE), il vise à accompagner les TPME industrielles dans leurs démarches de développement de process et produits décarbonés et appuyer l’émergence de nouvelles filières industrielles vertes compétitives.
Ce programme propose une offre intégrée portant sur le soutien à l’investissement, l’appui à l’innovation et à la créativité et le conseil et l’expertise pour la transformation verte des TPME industrielles. Bref, c’est dire que le Maroc, qui a l’ambition d’accroître la part des énergies renouvelables dans la capacité électrique à plus de 52% d'ici 2030, n’a pas attendu la mise en œuvre de la taxe carbone aux frontières de l’UE pour opérer la transition verte de son économie. Tout comme les pouvoirs publics, le secteur privé a très tôt pris la mesure des enjeux induits par la décarbonation industrielle. C’est le cas de Taqa Morocco, ou encore de la Sonasid.