Face à une sécheresse structurelle qui s’est intensifiée ces dernières années, le Maroc a initié un ambitieux programme de dessalement de l’eau de mer, porté par la vision royale qui place la gestion de l’eau au cœur des priorités nationales. Actuellement, le Royaume compte 15 stations de dessalement opérationnelles, produisant 192 Mm3 /an, dont plus de 80 Mm3 principalement destinés à l'eau potable.
Par D. William
Depuis six années consécutives, le Maroc fait face à une sécheresse d’une rare intensité, un phénomène aggravé par le dérèglement climatique. Les nappes phréatiques s’amenuisent, les barrages affichent des taux de remplissage préoccupants (28,2% seulement au 15 janvier 2025) et la demande en eau potable ne cesse de croître, particulièrement dans les grandes métropoles.
Le stress hydrique est devenu une réalité structurelle. Face à cette situation critique, le Maroc a choisi d’agir de manière proactive, en diversifiant ses sources d’approvisionnement. La construction de barrages, longtemps pilier de la politique hydraulique du Royaume, se complète désormais par un recours croissant aux ressources non conventionnelles, à commencer par le dessalement de l’eau de mer.
Ce virage stratégique, amorcé sous l’impulsion directe du Souverain, a pour ambition d’assurer la pérennité de l’accès à l’eau potable, tout en réduisant la pression sur les nappes souterraines. La vision royale repose sur un constat lucide : la rareté de l’eau est une problématique mondiale, mais le Maroc, en raison de sa position géographique, en subit de plein fouet les conséquences.
«L’un des défis majeurs auxquels est confronté notre pays est la problématique de l’eau, qui ne cesse de se complexifier du fait de la sécheresse, de l’impact du changement climatique et de la croissance naturelle de la demande», déclarait le Roi dans son dernier discours du Trône, soulignant la gravité de la situation et la nécessité d’une réponse immédiate et ambitieuse. Cette ambition se traduit par un plan colossal visant à faire évoluer la structure de la fourniture en eau potable, qui est actuellement assurée à hauteur de 4% par le dessalement, 67% par les barrages et eau de surface et 29% par les puits et eaux souterraines.
L’objectif est de faire passer la part du dessalement dans l’approvisionnement en eaux potable de 4% aujourd’hui à 40% d’ici 2030, avec une capacité de production totale qui atteindra 1,7 milliard de mètres cubes d’eau dessalée par an. Une ambition d’ailleurs confirmée, samedi dernier, par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, lors de la session ordinaire du Conseil national du Rassemblement national des indépendants. «Nous continuerons à renforcer l'infrastructure en achevant la construction de 15 grands barrages, en accélérant le rythme du programme de connexion des bassins hydrauliques et en mettant en œuvre les projets de dessalement de l'eau de mer en vue de mobiliser 1,7 milliard de mètres cubes à l'horizon 2030, pour un coût global de 18 milliards de dirhams», a-t-il affirmé.
Vision à long terme
Le pari fait par le Maroc sur le dessalement de l’eau de mer n’est pas anodin. Il repose sur deux facteurs essentiels, dont le premier a trait au coût. «Auparavant, le coût de production du mètre cube était trop élevé en raison du prix de l’énergie (qui représente 45% du coût de production du mètre cube). Actuellement, ce n’est plus le cas, d’autant qu’avec les avancées réalisées par le Royaume dans le domaine des énergies renouvelables, le kwh est très compétitif», nous expliquait l’ancien patron de l’ONEE, Abderrahim El Hafidi. Le second facteur est une vision à long terme, intégrée et tournée vers la sécurité hydrique du Royaume.
Et qui est méthodiquement déployée. Actuellement, le Royaume compte 15 stations de dessalement opérationnelles, produisant 192 Mm3/an, dont plus de 80 Mm3 principalement destinés à l'eau potable, tandis que le reste est dédié à l'irrigation ou à l'industrie. Par ailleurs, d’autres stations sont en cours de réalisation, notamment à Dakhla, Amgriou et Sidi Ifni, en plus de l’extension en cours de celles de Jorf Lasfar et Safi. En outre, plusieurs autres stations de dessalement sont programmées, précisément à Tanger, région de l’Oriental, Essaouira, Agadir (2ème phase), Guelmim, Tiznit et Casablanca.
Celle de la métropole économique, dont le coup d'envoi des travaux de construction a été donné en juin dernier par le Prince Héritier Moulay El Hassan, est présentée comme la plus grande station de dessalement d’Afrique et la deuxième au monde entièrement alimentée par des énergies renouvelables. Avec une capacité de production annuelle de 300 millions de mètres cubes, elle bénéficiera à plus de 7,5 millions d’habitants, tout en contribuant à l’irrigation de vastes surfaces agricoles dans la région du Grand Casablanca et au-delà. Lors de la première tranche, dont la mise en service est prévue fin 2026, la station doit atteindre une capacité de 548.000 m3 d’eau traitée par jour (200 millions de m3 par an), extensible, dans une deuxième phase (prévue pour la mi-2028), à 822.000 m3 par jour, soit 100 millions de m3 supplémentaires par an, dont 50 millions à usage agricole.
Cet investissement colossal de 6,5 milliards de dirhams s’inscrit dans une démarche qui allie donc performance technologique et responsabilité environnementale. L’ambition royale ne se limite pas cependant à la construction de stations de dessalement. La vision est globale et prend en compte la nécessité d’une gouvernance responsable et efficiente de l’eau.
«Nous insistons sur l’impératif d’une mise à jour continue des leviers de la politique nationale de l’eau et sur la définition d’un objectif stratégique, quelles que soient les circonstances : garantir l’eau potable à tous les citoyens et couvrir 80% au moins des besoins d’irrigation sur tout le territoire national», a déclaré le Souverain lors du discours du Trône. Cet impératif se traduit par un contrôle renforcé de l’usage de l’eau, une lutte contre le gaspillage et la mise en place de la «police de l’eau», un dispositif visant à réguler l’exploitation des ressources hydriques et à sanctionner les pratiques abusives, telles que le pompage anarchique des nappes phréatiques.
Des ambitions et des moyens
Cette stratégie ambitieuse ne pourrait voir le jour sans une mobilisation sans précédent des ressources financières. L’investissement dans le secteur de l’eau est passé de 2 milliards de dirhams en 2014 à 10 milliards en 2024, traduisant l’engagement croissant du Maroc pour garantir sa sécurité hydrique. Par ailleurs, le programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020- 2027, qui intègre le dessalement, la construction de grands barrages, l’interconnexion des bassins hydrauliques et l’adoption généralisée de techniques d’irrigation économes en eau, est doté d’une enveloppe globale de 143 milliards de dirhams.
Dans ce cadre, le partenariat public-privé (PPP) joue un rôle déterminant. L’expérience marocaine dans ce domaine est aujourd’hui saluée à l’international pour son approche innovante et inclusive, notamment dans le cadre du projet d’El Guerdane, réalisé en 2009 pour la sauvegarde de la zone agrumicole sur 10.000 hectares, et celui de Chtouka, réalisé en 2022 pour l'irrigation de 15.000 hectares par dessalement de l'eau de mer. Ces projets ont permis d’assurer l’irrigation de vastes zones agricoles tout en impliquant le secteur privé, réduisant ainsi la pression sur les finances publiques et garantissant une gestion durable des ressources.
Aujourd’hui, le Maroc a clairement la volonté d’inscrire la gestion de l’eau dans un cadre global de durabilité, où chaque projet contribue à la préservation des ressources naturelles et à la lutte contre le changement climatique. Pour autant, la réussite de cette transformation ne peut être uniquement technique. Le Roi a rappelé avec force que «la préservation de l’eau est une responsabilité nationale qui engage toutes les institutions et tous les citoyens». C’est un appel à la mobilisation collective, à un changement profond des comportements et à la sensibilisation sur l’importance de l’eau.