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Pharmaciens : Une grève nationale pour se faire entendre

Pharmaciens : Une grève nationale pour se faire entendre

- Les centrales syndicales représentant le secteur ne parviennent toujours pas à avoir de réponse de la part du ministère de tutelle. 

- Sur un total de 12.000 pharmacies, 3.000 sont à deux doigts de mettre la clé sous le paillasson.

 

Par M. Ait Ouaanna

 

C’est une journée qui compte, une journée de grève ! Ce jeudi 13 avril 2023, les pharmaciens d’officine maintiendront leurs rideaux baissés afin de descendre dans les rues du Royaume, manifester leur mécontentement et scander haut et fort leurs revendications.

Suite, disent-elles, à l’inaction du ministère de la Santé et de la Protection sociale face aux nombreux appels au dialogue, les quatre centrales syndicales encadrant le secteur prennent l’offensive et décident d’une grève nationale de 24 heures.

Dans un communiqué rendu public le 25 mars dernier, la Fédération des pharmaciens du Maroc (FPM), l’Union nationale des pharmaciens du Maroc (UNPM), la Confédération des syndicats des pharmaciens au Maroc (CPSM) et la Fédération nationale des pharmaciens du Maroc (FNSPM), ont annoncé que cette manifestation n’est qu’une première étape d’une longue série d’actions plus musclées, qui seront mises en place si la tutelle continue de faire la sourde oreille à leurs doléances.

 

Les pharmaciens chargent la tutelle

En effet, les pharmaciens d’officine se plaignent essentiellement du rejet du département d’Ait Taleb de toute négociation avec les représentants du secteur ainsi que de la non-reconnaissance du pharmacien à sa juste valeur.

«Après le départ du ministre Houcine El Ouardi, des commissions de travail ont eu lieu avec le ministre Anas Doukkali sur plusieurs sujets relatifs aux volets législatif, économique et fonctionnel. Mais, malheureusement, à l’arrivée du ministre Khalid Ait Taleb, c’était le black-out ! Plus aucune rencontre, tous les travaux ont été abandonnés; ce dernier n’a jamais reçu les instances syndicales pharmaceutiques», déplore Oualid Amri, expert pharmaceutique et officinal et premier vice-président du Syndicat des pharmaciens du Grand Casablanca.

Et de poursuivre : «Les autres professionnels de santé, que ce soit les médecins ou les infirmiers sont tous reçus, mais pas les pharmaciens, sous prétexte que nous ne sommes pas représentés, alors que cela fait 4 ans que nous demandons que les élections soient faites, mais personne ne nous a écoutés. Il semble y avoir un blocage quelque part et, pour la première fois de l’histoire du secteur pharmaceutique marocain, les instances syndicales décident, malgré leurs approches différentes, d’avancer main dans la main et d’organiser cette grève du 13 avril».

Suite à un manque d’accompagnement dont les répercussions se sont accentuées suite aux effets de la crise sanitaire, plusieurs pharmaciens d’officine sont aujourd’hui à la merci d’un miracle. Sur un total de 12.000 pharmacies, 3.000 sont à deux doigts de mettre la clé sous le paillasson. «La plupart des pharmaciens sont contraints de rester en activité parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer leurs dettes», regrette Oualid Amri, également ancien président de la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc.

 

Le rapport de la discorde

Plusieurs raisons alimentent la colère des pharmaciens, mais la pierre qui a provoqué l’avalanche est le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, qui a mentionné que les marges bénéficiaires des pharmacies oscillent entre 47% et 57%. Une information considérée par les professionnels du secteur comme étant «erronée». «Les 57% concernent le prix fabricant hors taxes (PFHT), le prix départ usine. En principe, sur un médicament dont le prix est inférieur ou égal à 166 dirhams hors taxes, la marge brute est de 33,95%. Pour les médicaments dont le PFHT varie entre 166 DH et 588 DH, la marge est de 29,74%. Puis, lorsqu’il s’agit d’un médicament dont le prix oscille entre 1.000 et 3.000 dirhams, le pharmacien perçoit un forfait de 300 dirhams, et lorsque ce prix varie entre 4.000 et 100.000 dirhams, ce dernier reçoit un forfait de 400 dirhams. Bien évidemment, toutes les marges précitées sont brutes. Notre marge varie donc réellement entre 27% et 30% et le bénéfice net réel est de 8 à 10%. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, est qu’après la publication du rapport de la Cour des comptes contenant des informations complètement erronées, le ministère de tutelle n'est pas intervenu», explique Oualid Amri.

Dans son rapport, la Cour des comptes a procédé à un benchmark en comparant les marges bénéficiaires des pharmaciens au Maroc avec l’Arabie Saoudite, la Belgique, l’Espagne, la France, la Turquie et le Portugal. Une approche très critiquée par les professionnels du secteur. «Économiquement parlant et en termes de sécurité sociale, ces pays ont des années-lumière d’avance sur nous. En faisant un benchmarking, il ne faut pas comparer uniquement la marge du pharmacien, mais plutôt l’ensemble de l’exercice officinal», explique Oualid Amri.

A cet égard, il cite l’exemple de la France où les pharmaciens sont rémunérés sur l’acte pharmaceutique, sur l’acte de substitution, sur la garde de nuit, etc. Dans le même ordre d’idées, Amri précise que la marge bénéficiaire des pharmacies en France est approximativement 3 ou 4 fois plus élevée que celle d’un pharmacien au Maroc.

«Aujourd’hui, le Royaume compte 12.000 pharmacies pour un chiffre d’affaires de 11 milliards de DH, et ça n’a pas beaucoup changé depuis 10 ans, c'est-à-dire, près de 900.000 DH par pharmacie, soit une marge de moins de 7.000 dirhams. C’est la moyenne réelle de ce que gagne un pharmacien, ce qui est anormal. Sans oublier que certaines pharmacies situées dans des régions éloignées gagnent beaucoup moins», regrette notre source.

«Nous avons vraiment l’impression d’être le parent pauvre du système de santé marocain. Nous avons besoin d’un accompagnement parce que ce secteur, qui joue un rôle très important et emploie près de 50.000 aides-pharmaciens, est aujourd’hui en train de couler. Le Maroc souffre d’un manque de médecins et d’infirmiers, mais nous avons quand même un pharmacien pour 2.700 habitants, alors que l’OMS préconise un pharmacien pour 5.000 habitants. Et comme le prouve une étude de l’OMS, la pharmacie est l’espace de santé de premier recours, un espace de santé à part entière, un espace qui conseille et oriente le patient. Nous sommes des professionnels de santé et nous devons être écoutés afin de parvenir à trouver des solutions durables et faire évoluer ce secteur dans l’intérêt du patient et de la santé publique», conclut Oualid Amri.

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