Caché dans un bunker de Téhéran, Ali Khamenei, l’ayatollah le plus célèbre au monde, ne dort sans doute plus sur ses deux oreilles. A 86 ans, le Guide suprême d’Iran est toujours dans le viseur d’Israël, après une guerre de 12 jours interrompue par un fragile cessez-le-feu. Que se passera-t-il s’il est éliminé ?
Par D. W.
La guerre Iran-Israël déclenchée le 13 juin, encore appelée guerre des 12 jours, a été ponctuée par des frappes américaines sur les installations nucléaires iraniennes de Fordo, Natanz et Ispahan. Malgré les déclarations tonitruantes du président américain Donald Trump affirmant avoir «complètement détruit» les sites, un rapport confidentiel du renseignement américain, révélé mardi 24 juin par plusieurs médias, affirme que le programme nucléaire iranien n’a été que partiellement retardé.
Selon ce document, les centrifugeuses et les stocks d’uranium enrichi n’auraient pas été détruits, mais simplement mis hors service temporairement. D’ailleurs, l’Iran a affirmé posséder encore des stocks d’uranium enrichi, le président Massoud Pezeshkian réaffirmant que son pays continuerait son programme nucléaire civil.
Dans ce contexte incertain, marqué par la mort de plus de 600 civils iraniens et 28 Israéliens, et alors qu’une trêve a été imposée sous la pression américaine, le sort d’Ali Khamenei reste au cœur de toutes les spéculations. Successeur de Khomeiny depuis 1989, il incarne à lui seul le pouvoir iranien.
Il tient entre ses mains depuis plus de trois décennies les rênes politiques, militaires et judiciaires de la République islamique. Mais l’homme est affaibli. Son pouvoir, naguère absolu, se heurte à l’usure du temps, aux divisions internes, à l’économie chancelante et, surtout, à ce conflit ouvert avec Israël.
La mort de nombreux hauts gradés et la fragilité des alliés régionaux, notamment le Hezbollah et le Hamas, plongent son régime dans un isolement total. Aujourd’hui, c’est la question de son élimination, qui provoquerait évidemment un séisme politique d’une ampleur inédite dans la région, qui fait débat.
Benjamin Netanyahu le clamait haut et fort il y a quelques jours: «Tuer Khamenei, c’est mettre fin au conflit ». Trump, lui, laissait entendre qu’il est «une cible facile», mais que ce n’est «pas pour tout de suite». Mais peut-on se fier aux propos du président américain ? A l’évidence non. Car, on le sait, Trump est très versatile. Il a frappé, dimanche 22 juin, les installations nucléaires iraniennes, alors qu’il s’était donné, quelques jours plus tôt (jeudi 19 juin), «deux semaines de réflexion» avant une éventuelle intervention militaire.
Il a par la suite évoqué ouvertement, après l’opération américaine, la possibilité d’un changement de régime en Iran. «Il n'est pas politiquement correct d'utiliser le terme "changement de régime", mais si le régime iranien actuel n'est pas en mesure de rendre à l'Iran sa grandeur, pourquoi n'y aurait-il pas un changement de régime ?», a posté Trump sur les réseaux sociaux.
Il se dédit moins de 48 heures plus tard en affirmant qu’il ne veut pas d’un changement de régime en Iran, car cela pourrait conduire au «chaos» et «nous ne voulons pas voir autant de chaos». Alors, les jours du Guide sont-ils vraiment comptés ?
Plongée dans l’inconnu
Plus qu’un leader, Khamenei est à lui seul une institution. Son élimination signifierait l’effondrement d’un pilier théologico-politique. Et que se passera-t-il après ? C’est la question que tous les observateurs avertis se posent, sans qu’il y ait une réponse consensuelle. Toutefois, au moins trois grands scénarios sont avancés, dont le premier concerne la prise du pouvoir par les Gardiens de la Révolution.
Autrement dit, une junte militaire à la place d’une théocratie. Deuxième possibilité : une guerre des factions. Conservateurs contre ultra-conservateurs, religieux contre militaires, tout le monde contre tout le monde, comme ce fut le cas dans la Libye post-Kadhafi, où la disparition de l’homme fort conduit à l’implosion. Troisième scénario : l’insurrection populaire.
Qui reste cependant difficile à concrétiser dans une société sous surveillance, sans leader véritable et avec une opposition extérieure jugée trop compromise ou trop divisée. Ajoutons à cela un élément important: la puissance symbolique du martyre dans la culture chiite. Si Khamenei venait à être tué, il pourrait être érigé en martyr par les cercles les plus radicaux du régime, qui utiliseraient cet assassinat perpétré… par les infidèles pour relancer la machine idéologique, mobiliser les masses et tenter de ressouder la nation autour d’un leader défunt. Et que dire des successeurs potentiels ?
Son fils, Mojtaba Khamenei, bien qu’omniprésent dans les cercles proches du pouvoir, ne suscite ni enthousiasme populaire ni consensus institutionnel. Les noms circulent, mais aucun ne semble capable de rallier les différentes forces du régime : les clercs, les militaires, les technocrates et les services secrets.
Bref, pour résumer, éliminer l’ayatollah, c’est basculer dans l’inconnu. Et l’histoire récente nous a appris que décapiter un régime ne suffit pas à le remplacer. Irak, Libye ou encore Afghanistan : la liste des précédents embarrassants est longue. L’Iran pourrait bien rejoindre ce triste palmarès si l’après-Khamenei n’est pas sérieusement anticipé.
Et dans ce vide potentiel, l’opposition iranienne, notamment les exilés du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) ou encore les partisans de Reza Pahlavi, fils ainé du dernier Shah d’Iran, rêve déjà d’un retour triomphal, mais très hypothétique. Alors, dans pareil contexte, Ali Khamenei doit-il tomber ? Surtout, le régime des mollahs peut-il disparaître ?