Le coup de froid dans les relations entre le Maroc et la France commence à durer. Depuis plus d’un an, les rapports entre les deux pays sont tendus, exacerbés par ce qu’on peut appeler la crise des visas.
Il faut convenir que la France entretient avec le Royaume des relations très ambiguës, quand bien même elle ne manque pas de rappeler, selon les circonstances, les relations séculaires et l’amitié profonde qui lient les deux nations. Cette ambiguïté tient surtout au fait que Paris mène une diplomatie à géométrie variable, en voulant à la fois plaire à Rabat et à Alger. Or, cette arithmétique politicienne ne saurait tenir face à des sujets aussi stratégiques que celui du Sahara marocain. Lequel ne peut faire l’objet d’aucun compromis et d’aucune forme de tergiversation. Et sujet sur lequel, le Roi Mohammed VI a délivré un message clair dans son discours du 20 août dernier : «le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit».
Alors, la France est-elle véritablement un pays ami du Maroc ? Ou est-ce plutôt une amitié cosmétique ?
La France, qui crie haut et fort la sécularité des relations entre les deux pays, doit maintenant poser des actes concrets et forts. Le Maroc attend d’elle qu’elle se mouille davantage, et qu’elle aille bien au-delà de cette posture diplomatique habituelle qui privilégie «une solution politique durable et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU». Les vrais amis du Royaume ont franchi le rubicond et soutiennent sa position juste et légitime sur la marocanité du Sahara. «(…) De nombreux pays influents, respectueux de la pleine souveraineté du Maroc sur ses territoires, ont manifesté leur réceptivité et leur soutien à l’Initiative d’autonomie, considérée comme la seule voie possible pour le règlement de ce conflit régional artificiel», rappelle à juste titre le Souverain. Les Etats-Unis, l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, le Portugal, la Serbie, la Hongrie… sont autant de pays qui ont actuellement une position claire à l’égard du dossier du Sahara marocain. Dès lors, souligne le Roi, «s’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque». Un message transparent pour qui sait lire.
Le dégel en 2023 ?
Selon plusieurs sites d’information, le président français Emmanuel Macron devrait effectuer une visite au Maroc durant l’année 2023. Cette visite sera-t-elle néanmoins suffisante pour apaiser les tensions entre Rabat et Paris ? Pas forcément. Sauf si Macron prend véritablement la mesure de ce qui se joue. Et qu’il comprenne que le Maroc, puissance régionale émergente, partenaire multidimensionnel incontournable de l’Occident et interlocuteur privilégié à l’égard du Moyen-Orient, ne saurait être le vassal d’une France qui fait avancer ses pions selon ses intérêts politiques et économiques. Rien d’autre ne peut sous-tendre actuellement la coopération maroco-française que la logique de l’équité et du gagnant-gagnant.
Comprendre cela, c’est accepter d’inscrire les relations entre les deux pays dans une nouvelle dynamique. C’est jouer franc jeu avec le Maroc, particulièrement en ce qui concerne son intégrité territoriale.
Macron saura-t-il le faire ? Dans un entretien publié le 15 novembre courant sur le site de «Le Point», Alexandre Negrus, président de l’Institut d'études de géopolitique appliquée, fait une analyse pertinente à ce propos. «Il est évident que le Maroc est un partenaire de poids et il n'est pas inenvisageable que, dans un avenir à l'horizon toujours incertain, au sujet du Sahara, la France franchisse le pas en s'alignant sur les positions de ses alliés américains et espagnols. Il n'est pas non plus incohérent d'imaginer la France faire valoir une position moins explicite, ce qui serait en revanche à son désavantage car ne réglerait pas la situation et affecterait davantage ses intérêts à long terme», dit-il.
Et de conclure que «si les relations actuelles entre Paris et Alger sont fortement axées autour de la question mémorielle, la France serait perdante à négliger son partenaire marocain avec qui les alliances peuvent s'avérer efficaces dans le cadre d'une vision stratégique de long terme. D'autant plus que le Maroc dispose d'une situation géographique avantageuse, en tant que façade atlantique et méditerranéenne. Considérer le seul besoin gazier de la France serait donc une vision court-termiste dangereuse.
La diplomatie française aurait à gagner à analyser en profondeur son calcul entre alliances de circonstances et alliances historiques et stratégiques à horizon lointain. La position française sur la question du Sahara se déterminera ainsi en fonction de facteurs économiques et géoéconomiques. Les autorités marocaines ont saisi que leur croissance économique sera un facteur clé des futurs positionnements des principales chancelleries».
F. Ouriaghli