Ce qui s’est passé à Tanger dépasse la tragédie humaine, dans ce qu’elle a de plus hideux et de plus crade.
Les vies qui ont été fauchées dans cette usine clandestine, nous disent à quel point la cupidité n’a plus aucune limite dans notre société. Une société où le gain, à tous les prix, a pris le dessus comme valeur suprême. Il est à la fois terrible et affligeant de savoir que des individus continuent de marchander la vie des autres, à bas prix. Il ne faut pas se leurrer et penser, que c’est là, un accident isolé.
Loin de là. Les fabriques clandestines existent un peu partout au Maroc. Des gens y travaillent et sont traités comme des esclaves, à la merci du patron, qui a droit de vie et de mort sur ses employés clandestins.
Faites un tour dans les quartiers populaires de toutes les villes du pays, demandez aux habitants de vous parler des usines de fortune, des ateliers de textile, des fabriques de chaussures, d’habits, de produits chimiques, de produits alimentaires… Quand les drames frappent, les langues se délient et rendent compte de toute la misère humaine, qui accepte l’inacceptable pour un salaire misérable, juste de quoi se maintenir en forme pour revenir le lendemain trimer en jouant à la roulette russe avec la mort.
Comment cela est-il possible ? Comment peut-on tolérer l’intolérable et laisser des individus sévir en jouant avec la vie des autres ? Qui est responsable des morts de Tanger ? Qui est responsable de tous les autres accidents qui émaillent la triste vie de nombreux Marocains qui ne savent plus à quel saint ni à quel diable se vouer ? Il nous faut toujours attendre le drame pour crier au scandale, comme c’est toujours le cas, dans ce cher Maroc.
Pourtant, les nouvelles vont bon train, les autorités savent qui trafique dans les vies humaines, qui s’autoproclame patron et fait travailler les autres en toute impunité, qui biaise avec les lois et s’enrichit en écrasant les autres. Aucune forme de tolérance n’est acceptable face à de tels crimes et manquements aux règles les plus basiques de la loi.
Évidemment qu’il faut sévir. Évidemment qu’il faut assainir et montrer l’exemple. Mais il faut le faire dans la durée. Il faut que la règle soit des inspections en continu dans des zones entières où les fabriques de fortune poussent comme des champignons. Il faut maintenir une cadence de surveillance, avec des inspecteurs dédiés à cette tâche pour sauver des vies en amont. Il faut prendre des mesures urgentes et quadriller les quartiers à risques pour dénicher tous les fraudeurs.
Au-delà des discours sur la démission du ministre du Travail, il faut d’abord se demander si les autorités, si le gouvernement marocain, ont pris la pleine mesure de ce qui vient de nous frapper tous, parce que chaque victime nous touche au plus profond du tissu social marocain.
Il nous faut nous mobiliser, tous, autant que nous sommes, pour faire en sorte qu’un drame aussi horrible ne se reproduise plus dans notre pays. Cette hécatombe tombe au pire moment de notre histoire récente : la pandémie sévit et tue à tour de bras, le malaise social est au plus haut, la pauvreté ronge le corps de la société, les familles les plus vulnérables finissent toujours par en payer le lourd tribut.
Ce sont toujours les mêmes qui trinquent. La peur, l’angoisse, la faim au ventre et la mort, au final, pour mettre un terme à l’espoir. Jusqu’à quand ? Il faut bien croire que nous avons besoin de toute notre cohésion sociale pour supporter ce virus qui nous menace, tous, autant que nous sommes. Il faut bien croire que nous avons besoin de regarder dans la même direction en pensant aux plus démunis d’entre nous, par temps de grave crise. Il faut bien que les lois soient respectées et qu’elles soient identiques pour tous les Marocains sans distinction entre riches et pauvres. Il faut se résoudre à cette conclusion, pourtant très simple et basique : tant qu’il y a des passe-droits, tant que le laxisme tient corps au sein de la société, il y aura toujours des individus prêts à s’enrichir en faisant fi des lois et des vies humaines.
Alors, il faut sévir, car personne n’est au-dessus des lois. Car il n’y a pas de Marocain meilleur qu’un autre. Nous sommes un même organisme, nous sommes un même tissu social qui doit être solide pour faire barrage devant tous les criminels. Amen.
Abdelhak Najib
Ecrivain-Journaliste