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Comment favoriser l'implémentation et l'expansion de l'intelligence artificielle dans le domaine des soins de santé en Afrique

Comment favoriser l'implémentation et l'expansion de l'intelligence artificielle dans le domaine des soins de santé en Afrique

L'éminence de l'intelligence artificielle (IA) dans le secteur médical est désormais une réalité tangible. Elle s'est immiscée de manière subtile dans le processus décisionnel et les réflexes de prescription.

 

* Par Dr GHANIMI Rajae

 

Diverses études et rapports attestent que l'introduction de l'IA dans le domaine des soins de santé a engendré des améliorations notables, profitant aux patients, aux dispensateurs de soins, aux organismes de financement et à tous les intervenants du domaine de la santé, induisant ainsi un impact bénéfique à l'échelle sociétale.

Indubitablement, la pandémie de la Covid-19 a précipité la mutation numérique et la connectivité au sein de l'écosystème de la santé, répondant ainsi de manière plus adéquate aux impératifs sanitaires d'une population confrontée à des périodes de confinement total ou partiel. Néanmoins, la réussite de cette transformation s'avère conditionnée par un ensemble de préalables indispensables.

La validité et la fiabilité des algorithmes d'IA

Dans le domaine de la santé, l'adage «la qualité prime» revêt une importance capitale, nécessitant une vigilance accrue sur les détails les plus infimes. Les enjeux majeurs concernant l'apprentissage, la fiabilité des bases de données, la performance des algorithmes et l'ergonomie de l'IA exigent une attention soutenue.

Pour favoriser l'adoption des technologies médicales par les professionnels de la santé, il est impératif de renforcer le processus de validation et de fournir des preuves cliniques indéniables quant à la qualité et à l'efficacité. Les conséquences désastreuses d'une défaillance dans cette procédure sont criantes, comme en témoigne l'accident tragique survenu à l'hôpital d’Epinal en 2004. Une anomalie informatique liée à l'intégrité des données a entraîné une surexposition aux rayonnements, causant plusieurs décès dus à un surdosage.

Le leadership clinique 

L'intégration de l'IA au sein du changement organisationnel dans le domaine des soins de santé partage des similitudes avec la gestion du changement dans d'autres institutions complexes. Cependant, dans ce domaine spécifique, le leadership clinique s'impose comme une pièce maîtresse, tandis que le choix éclairé des applications de l'IA doit s'aligner sur les praticiens, les accompagnant plutôt que les opposer, et renforçant leurs compétences pour améliorer la qualité des soins délivrés aux patients.

Cette démarche englobe notamment la préférence pour des solutions ciblant la réduction du temps consacré aux tâches administratives répétitives, plutôt que de se focaliser sur des assistants virtuels en interaction directe avec les patients. En définitive, les établissements de santé doivent moderniser leurs processus, qu'ils soient liés aux soins ou à l'administration, et exploiter pleinement les opportunités offertes par l'IA.

Optimiser la gestion des risques relatifs à la sécurité des données

Selon les défenseurs de l'intelligence artificielle dans le secteur de la sécurité des données médicales, trois risques majeurs requièrent une gestion attentive : la confidentialité, l'intégrité et la disponibilité.
Contrairement aux perceptions courantes dans les forums, le principal souci dans le domaine de la santé ne réside pas tant dans la confidentialité des données que dans le risque d'altération des données, un aspect prioritaire à prendre en compte.

En effet, toute défaillance dans les paramètres ou la programmation pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour les patients, notamment dans des domaines tels que la chirurgie robotisée, la radiothérapie ou la gestion automatisée de certains traitements médicamenteux.

Ensuite, vient la préoccupation de la disponibilité des données, particulièrement cruciale dans les milieux hospitaliers où le système d'information représente le pilier central de toutes les opérations médicales.

Un exemple révélateur remonte à 2016, lorsqu'un hôpital en Californie du Sud, aux États-Unis, a été victime d'un ransomware, paralysant son système informatique pendant dix jours pour obtenir une rançon. Cette situation a contraint l'établissement à transférer les patients vers d'autres structures de santé, étant dans l'incapacité de leur assurer une prise en charge adéquate.

Il convient également de souligner l'importance cruciale de la confidentialité des données. Bien que son impact direct sur le patient soit moindre par rapport aux autres risques (intégrité et disponibilité), dans certaines situations sensibles telles que la psychiatrie, les cas d'infection par le VIH ou les interruptions volontaires de grossesse, la confidentialité retrouve sa place en tête des préoccupations.

Renforcer la souveraineté numérique, la sécurité et l'interopérabilité 

Les chiffres marquent un contraste frappant. À la fin de 2020, le continent africain ne comptait que 1,3% des centres de données mondiaux, soit moins d'une centaine de structures, la moitié étant concentrée en Afrique du Sud. Pour atteindre un niveau similaire, le reste de l'Afrique devrait installer environ 700 nouvelles infrastructures, selon les estimations de l'Association africaine des centres de données (ADCA) début 2021.

Parmi les défis majeurs, plusieurs points ressortent :

• Le sous-investissement : 66% des entreprises allouent moins de 200.000 euros par an à la cybersécurité. De plus, seuls 35% des financements sont destinés à la sécurisation des infrastructures, et à peine 5% sont dédiés à la protection et à la gouvernance des données.
• La fragilité des infrastructures existantes : Le fossé entre le développement des infrastructures cloud et l'évolution des usages numériques met en péril la souveraineté des États africains.
• Le manque de ressources et de solutions techniques en cybersécurité, exacerbant la vulnérabilité des réseaux. 
• La réglementation insuffisante : Les initiatives régionales pour faire face à la cybercriminalité peinent à s'imposer. Depuis son instauration en 2014, la Convention de Malabo (Guinée équatoriale) sur la cybersécurité et la protection des données personnelles, adoptée par moins de 20 pays et ratifiée par moins de dix, illustre cette lacune.
• Le déficit de formation et de sensibilisation en matière de cybersécurité, de protection des données et de souveraineté numérique.
Il est crucial de souligner l'importance de la souveraineté pour développer une intelligence artificielle propre à l'Afrique, conçue et adaptée spécifiquement pour répondre aux besoins du continent.

Intégrer des modules IA dans la formation des professionnels de santé

L'intégration de l'intelligence artificielle dans le secteur de la santé exige une refonte complète des programmes de formation des professionnels de la santé, impliquant dès la première année une inclusion précoce de modules en sciences biomédicales et en science des données. Bien qu'il y ait eu des efforts récents pour former des étudiants, voire des «résidents», en informatique médicale, ces initiatives demeurent insuffisantes pour soutenir pleinement cette transition numérique.
Il devient crucial que des compétences fondamentales telles que la maîtrise des outils numériques de base, la compréhension des principes de la génomique, de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage automatique, deviennent des acquis courants pour tous les futurs professionnels de la santé. Ces compétences devraient être complétées par le développement de la pensée critique et d'une mentalité favorisant l'apprentissage continu.
Parallèlement à l'actualisation de la formation clinique, il est essentiel d'augmenter le temps consacré à la dimension humaine de la médecine. L'emphase doit être mise sur des compétences telles que l'empathie, la communication et, bien entendu, l'éthique médicale. Ce sont des aspects de la profession médicale qui resteront irremplaçables par une machine.

Revoir l’architecture des emplois et des compétences dans le secteur de la santé 

Les établissements de santé (public/privé) doivent revoir leur politique de gestion des ressources humaines, ils auront à s’ouvrir sur de nouvelles compétences essentielles à l'introduction et à l'adoption réussies de l'IA, tels que les data scientists, les ingénieurs en robotique ou les data ingénieurs, et surtout les experts en cybersécurité. La demande pour de tels profils augmente dans tous les secteurs et la concurrence pour les talents devient de plus en plus féroce. Le secteur de la santé aura à développer des modèles flexibles et agiles pour attirer et retenir les génies de l’IA.

Travailler à grande échelle et penser au partenariat public-privé (PPP)

Tous les hôpitaux ne pourront pas se permettre d'attirer de nouveaux talents en IA ou d'avoir accès à suffisamment de données pour rendre les algorithmes significatifs. Une ouverture inter-secteurs permettrait aux petites organisations de travailler dans des clusters d'innovation qui rassemblent l'IA, la santé numérique, la recherche biomédicale, recherche translationnelle ou autres domaines pertinents. Les grandes organisations doivent évoluer vers des centres d'excellence qui ouvrent la voie à des collaborations internationales, régionales et nationales (public-privé) pour faire évoluer l'IA dans les soins de santé. 

Réglementation

La mise en place d'une réglementation spécifique et cohérente pour encadrer l'utilisation de l'IA est considérée comme essentielle. Cette régulation devrait suivre une structure similaire à celle des autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les médicaments, garantissant ainsi un cadre normatif clair et uniforme.
Par ailleurs, un autre aspect crucial soulevant des interrogations concerne l'accès des patients à diverses applications et dispositifs basés sur l'intelligence artificielle. La question fondamentale est de savoir s'il convient de les rendre accessibles en vente libre ou de les réserver exclusivement sur prescription médicale. Cette interrogation révèle la nécessité de définir des lignes directrices claires, tenant compte à la fois de la sécurité des patients et de la promotion de l'innovation dans le secteur de la santé.

La question de la responsabilité…un défi particulier

La sécurité des patients est primordiale, mais les managers des établissements de soins doivent également réfléchir à la responsabilité professionnelle et médico-légale des praticiens, ainsi qu'à la protection de leurs institutions contre les risques de réputation, juridiques ou financiers. La responsabilité des solutions d'IA - à la fois cliniques et techniques - est toujours partagée entre les organisations de santé et leur personnel.

Financement de l’innovation

Le système de remboursement des procédures médicales et des équipements est demeuré stagnant depuis de nombreuses années en Afrique, laissant plusieurs avancées novatrices sans possibilité de remboursement. Cela inclut spécifiquement les algorithmes d'aide au diagnostic, les applications et les appareils d’automesure du soi alimentés par l'intelligence artificielle, ainsi que les services de télémédecine. La responsabilité de décider quels actes ou équipements seront remboursés incombe aux autorités de régulation et de gestion.

Cette décision définit généralement les éléments remboursés, l’inscription dans la nomenclature des actes médicaux et des dispositifs médicaux remboursables, les tarifs applicables, et les conditions de remboursement. L'établissement de critères clairs pour le remboursement des applications d'intelligence artificielle s'avère indispensable pour accélérer la mise à grande échelle des innovations dans le domaine de la santé.

 

* Médecin spécialiste en médecine du travail, chercheuse (Phd) en intelligence artificielle appliquée à la médecine, présidente fondatrice de l’association Hippocrate DS, écrivaine, auteure de plusieurs articles sur la transformation digitale en santé. 

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