L'allocation de cinq millions de dirhams pour lutter contre le travail des enfants est une avancée majeure. Cependant, la complexité du phénomène exige une approche globale combinant des mesures législatives, des actions de sensibilisation, le soutien aux familles et la création d'alternatives économiques. Entretien avec Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich, juge près la Cour internationale de résolution des différends «Incodir» à Londres et expert international en audit et droit des affaires à Genève.
Propos recueillis par M. Boukhari
Finances News Hebdo : Le ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences a alloué une enveloppe budgétaire de 5 millions de dirhams en 2024 destinée à accompagner les associations engagées dans la lutte contre le travail des enfants. A votre avis, quelles autres actions devraient être prises par le gouvernement afin de lutter contre ce fléau ?
Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich : Le Maroc doit engager plusieurs réformes, notamment juridiques, dans le dessein d’éliminer le travail des enfants. Dans ce sens, il serait judicieux de renforcer les lois nationales pour les aligner sur les conventions internationales, comme celles de l'OIT. Aussi, mettre en place des systèmes de surveillance pour appliquer ces lois en sus d’assurer un enregistrement universel des naissances. Les réformes sociales sont également d’une importance cruciale, à condition qu’elles soient menées de manière efficiente et soient inscrites dans la durée. Il s’agit, entre autres, de rendre l’éducation gratuite et obligatoire; mener des campagnes de sensibilisation sur les dangers du travail des enfants ainsi qu’offrir des services sociaux pour réduire la dépendance au revenu généré par le travail des enfants. En ce qui concerne les réformes économiques, le Royaume devrait mettre en œuvre des politiques pour réduire la pauvreté; introduire des programmes de transferts monétaires conditionnels et encourager les petites entreprises pour créer des emplois décents. Pour éradiquer efficacement le travail des enfants, le Maroc doit renforcer son arsenal juridique en imposant des sanctions pénales sévères à l'encontre des responsables de cette exploitation. La création de tribunaux spécialisés garantirait un traitement rapide et adapté des affaires. Parallèlement, il est essentiel de mettre en place des programmes de protection et de réhabilitation pour les enfants victimes, afin de leur offrir un avenir meilleur. Sur le plan international, le Maroc devrait renforcer sa coopération avec d'autres pays, notamment en harmonisant les législations et en intégrant des clauses spécifiques sur le travail des enfants dans les accords commerciaux. Enfin, la mise en place de systèmes de surveillance et de rapports transparents permettrait d'évaluer l'efficacité des actions menées et de mobiliser davantage de ressources.
F.N.H. : Comment les programmes de soutien aux familles démunies peuventils contribuer à réduire significativement le travail des enfants, notamment dans les régions les plus vulnérables ?
Me A. E. B. : Pour lutter efficacement contre le travail des enfants et promouvoir les droits de l'enfant, il est essentiel de mettre en place des stratégies globales de soutien aux familles démunies. Une approche combinant une caisse d'aide sociale, des partenariats avec les associations de Zakat et une méthodologie structurée et inclusive se révèlent particulièrement efficaces. La création d'une caisse d'aide sociale permet d'évaluer précisément les besoins de chaque famille, de définir des critères d'éligibilité clairs et de mettre en place des mécanismes de distribution transparents. Cette caisse peut financer des programmes éducatifs, des formations professionnelles et fournir un soutien financier direct aux familles les plus vulnérables. Parallèlement, un partenariat avec les associations de Zakat permet de mobiliser des ressources supplémentaires pour soutenir ces initiatives. Ces associations, enracinées dans les communautés, jouent un rôle clé dans l'identification des besoins spécifiques et dans la mise en œuvre de projets adaptés au contexte local. Enfin, une approche structurée et inclusive est indispensable pour garantir la durabilité de ces interventions. Elle implique une évaluation régulière des besoins, une collaboration étroite avec les ONG et les organismes gouvernementaux, le développement de programmes d'autonomisation, ainsi qu'une communication efficace avec les familles bénéficiaires. En combinant ces différentes actions, il est certainement possible de créer un environnement plus favorable à l'élimination du travail des enfants et de favoriser l'épanouissement des enfants en leur offrant les moyens de s'éduquer et de construire un avenir meilleur.
F.N.H. : En parlant des associations, étant donné les risques de détournement ou de mauvaise gestion financière auxquels celles-ci sont exposées, quelles sont les pratiques rigoureuses à adopter pour sécuriser leurs fonds ?
Me A. E. B. : Effectivement, il existe plusieurs pratiques qui pourraient être adoptées par ces associations, notamment : 1. Un compte bancaire dédié : Séparer clairement les finances de l’association et limiter l’accès à quelques responsables autorisés. 2. Procédures financières : Prévoir un budget, exiger une double signature pour les paiements importants et conserver les justificatifs. 3. Outil de comptabilité : Utiliser un logiciel pour assurer la transparence et simplifier la gestion financière. 4. Audits réguliers : Effectuer des contrôles internes et externes pour garantir la fiabilité des comptes. 5. Protection des fonds physiques: Sécuriser les espèces dans une caisse fermée et les déposer rapidement à la banque. 6. Transparence : Publier des rapports financiers pour informer les membres et les donateurs. 7. Formation : Former les responsables financiers aux bonnes pratiques de gestion. 8. Assurance : Souscrire une assurance contre les détournements, si nécessaire. Ces mesures renforcent la confiance et réduisent les risques de malversations.