Il y a juste quelques mois encore, l’Algérie et la France filaient le parfait amour. En apparence en tout cas.
En effet, les vieilles querelles et les sujets qui fâchent ont été mis sous le tapis, lors du voyage effectué par le président français, Emmanuel Macron, fin août dernier, en Algérie, qui semblait sonner le renouveau des relations bilatérales. En octobre, la Première ministre Élisabeth Borne allait confirmer les bonnes intentions affichées en se rendant en Algérie, accompagnée d'une quinzaine de ministres.
Tout ceci ne serait-ce qu’une mise en scène ? Une entente de façade ? L’idylle n’a en tout cas pas duré. Un vent glacial circule de nouveau entre Alger et Paris.
Le mercredi 8 février, le Président algérien Abdelmadjid Tebboune a en effet décidé de rappeler «pour consultations» son ambassadeur en France. Motif : «l'exfiltration» de la militante et journaliste Amira Bouraoui via la Tunisie, lundi soir.
Un communiqué de la présidence précise que l'Algérie, via une note officielle, a «protesté fermement contre l'exfiltration clandestine et illégale d'une ressortissante algérienne» vers la France.
Peu avant le rappel de l'ambassadeur algérien à Paris, le ministère algérien des Affaires étrangères a indiqué avoir exprimé mercredi, dans une note officielle, à l'Ambassade de France «la ferme condamnation par l'Algérie de la violation de la souveraineté nationale par des personnels diplomatiques, consulaires et de sécurité relevant de l'Etat français». Ces personnels «ont participé à une opération clandestine et illégale d'exfiltration d'une ressortissante algérienne dont la présence physique sur le territoire national est prescrite par la justice algérienne», a précisé le ministère dans un communiqué.
Militante politique et journaliste franco-algérienne, Amira Bouraoui avait été arrêtée le 3 février en Tunisie, alors qu’elle tentait de prendre l’avion pour la France. Elle risquait d’être expulsée en Algérie où elle était sous le coup d’une interdiction de territoire, suite à ses démêlés avec la Justice. A cause de son militantisme, celle qui a mené une campagne vigoureuse contre le quatrième mandat du président défunt, Abdelaziz Bouteflika, avait ainsi été condamnée courant 2020, avant d’être libérée en juillet de la même année.
Alger, un allié peu fiable
La France (re)découvre à ses dépens la fragilité de son alliance avec l’Algérie. Une Algérie où le pouvoir corrompu gouverne par l’intimidation et l’oppression pour mieux profiter de ses privilèges indus. Dans une tribune publiée dans Le Figaro du 8 janvier 2023, le diplomate Xavier Driencourt, ex-ambassadeur de France à Alger à deux reprises (2008 et 2012, puis 2017 et 2020), ne dit pas autre chose. Il résume l’Algérie en «un système militaire (formé, on l’oublie, aux méthodes de l’ex-URSS), brutal, tapi dans l’ombre d’un pouvoir civil, sans doute autant affairiste que celui qu’il a chassé, obsédé par le maintien de ses privilèges et de sa rente, indifférent aux difficultés du peuple algérien». Et tous ceux qui osent tenir tête ou dénoncer ce régime sont systématiquement embastillés : «les politiques, fonctionnaires et militaires liés à l’ancien régime – et auxquels l’Armée nationale populaire doit son statut actuel - , mais aussi les journalistes qui ont eu le tort d’écrire des articles hostiles ou réservés sur le régime, et ceux qui, naïvement, ont posté sur les réseaux sociaux un jugement ou une opinion dissidente», dénonce-t-il.
D’ailleurs, le 8 février, Amnesty International (AI) et Human Rights Watch (HRW) ont appelé les autorités algériennes à mettre fin à leur répression générale des organisations indépendantes de la société civile et à revenir sur la décision, «manifestement politique», de dissoudre la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH). Selon les deux ONG, «les autorités algériennes semblent déterminées à mettre fin à toute activité indépendante qui ferait la lumière sur les violations des droits humains dans le pays».
Tout cela pousse le diplomate Xavier Driencourt à dire que «l’Algérie nouvelle», selon la formule en vogue à Alger, est en train de s’effondrer sous nos yeux et elle entraîne la France dans sa chute».
En réalité, la France se prend les pieds dans sa propre arithmétique politicienne. Elle tente de gérer ses relations historiques et profondes avec le Maroc, tout en essayant de ne pas fâcher l’Algérie pour y préserver ses intérêts…gaziers, surtout après la décision prise de réduire drastiquement la dépendance au gaz russe. Dans un entretien publié le 15 novembre dernier sur le site de «Le Point», Alexandre Negrus, président de l’Institut d'études de géopolitique appliquée, expliquait à ce propos que «si les relations actuelles entre Paris et Alger sont fortement axées autour de la question mémorielle, la France serait perdante à négliger son partenaire marocain avec qui les alliances peuvent s'avérer efficaces dans le cadre d'une vision stratégique de long terme. D'autant plus que le Maroc dispose d'une situation géographique avantageuse, en tant que façade atlantique et méditerranéenne. Considérer le seul besoin gazier de la France serait donc une vision court-termiste dangereuse».
Ainsi, pour préserver ses intérêts économiques, notamment gaziers en Algérie, Paris ménage le pouvoir autocratique algérien en ayant une position ambiguë vis-à-vis du dossier du Sahara marocain. Cette diplomatie française maladroite irrite par contre Rabat, la souveraineté territoriale du Royaume ne pouvant être l’otage de calculs économiques pervers. D’où le message transparent du Roi Mohammed VI dans l’un de ses discours : «s’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque».
Mais jusqu’à présent, la France tergiverse. Ce nouvel épisode de froid avec l’Algérie infléchira-t-il définitivement l’orientation de la diplomatie française ? Permettra-t-il à Paris de prendre la mesure de ce qui se joue actuellement ?
L’avenir nous le dira.
F. Ouriaghli