Nouvel acte de défiance mutuelle entre la France et l’Algérie, liées par l’histoire et déchirées par des rancunes tenaces.
Mais cette fois, le ton s’est durci. Avec l’«affaire des influenceurs», le dialogue semble s’être rompu au profit de la surenchère.
L’Algérie et la France vivent une nouvelle période de tensions extrêmes. Dernier fait en date : le renvoi vers la France de l’influenceur algérien Doualemn, expulsé par Paris après des propos haineux, mais refoulé dès son arrivée à Alger.
Un geste cinglant qui, dans le langage feutré des chancelleries, équivaut à un soufflet diplomatique.
Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, a dénoncé une volonté manifeste d’«humilier la France». De son côté, le ministère des Affaires étrangères algérien a répondu de manière cinglante.
Dans un communiqué publié samedi, il précise que «l’extrême droite revancharde et haineuse, ainsi que ses hérauts patentés au sein du gouvernement français mènent actuellement une campagne de désinformation, voire de mystification, contre l’Algérie», ajoutant que «l’Algérie n’est, d’aucune façon, engagée dans une logique d’escalade, de surenchère ou d’humiliation. C’est bel et bien l’extrême droite et ses représentants qui veulent imposer à la relation algéro-française leurs vues faites de velléités d’intimidation, de menace et d’un bras de fer dont ils parlent sans retenue et sans nuance».
En réalité, ce qui se joue ici dépasse largement le sort d’un influenceur controversé.
Il s’agit d’un acte où la mise en scène compte autant que le fond : la France, ancienne puissance coloniale, doit apparaître publiquement désavouée, rappelée à l’ordre par un régime algérien soucieux de flatter son opinion publique sur fond de nationalisme exacerbé.
En témoigne la teneur du communiqué, qui souligne que «l’expulsion arbitraire et abusive d’un ressortissant algérien de France vers l’Algérie a fourni à cette partie nostalgique de la France l’occasion de donner libre cours à ses règlements de compte historiques avec l’Algérie souveraine et indépendante».
Le Sahara marocain en toile de fond
Ne nous trompons pas cependant ! La posture conflictuelle actuelle du pouvoir algérien est justifiée entre autres par le revirement diplomatique français en faveur de la souveraineté marocaine sur le Sahara, Alger considérant cette reconnaissance comme une trahison de plus.
Le dialogue est-il définitivement rompu pour autant ? Pas tout à fait. Et il serait difficile de l’envisager. Au moins pour une raison : la France reste liée à l’Algérie par un facteur stratégique majeur, le gaz.
Avec la crise énergétique européenne provoquée par la guerre en Ukraine, Alger a pris conscience de son levier géopolitique, fournissant environ 12% des importations françaises en gaz naturel en 2023.
Un chiffre modeste, mais suffisant pour jouer la carte du chantage énergétique, comme l’illustre la menace algérienne de réduire les exportations vers l’Europe après le revirement français sur le Sahara marocain.
Mais ici encore, le calcul algérien frôle la contradiction. Car si la France dépend modérément du gaz algérien, l’Algérie, elle, dépend bien plus fortement de ses exportations vers l’Europe, principale source de devises pour une économie encore largement rentière.
Rompre ces liens exposerait Alger à des difficultés financières considérables, dans un contexte de baisse des revenus pétroliers.
De plus, isolée sur la scène maghrébine, en conflit ouvert avec son voisin marocain et fragilisée au Sahel, l’Algérie ne peut se permettre un isolement complet sur le Vieux Continent.
Des marges de manœuvre réduites pour Paris ?
Face à cette escalade, quelles options s’offrent à la France ? Si l’agacement du ministre Retailleau est compréhensible, la marge de manœuvre de Paris reste limitée. Réduire le nombre de visas accordés ?
Certes, mais l’expérience montre que ces mesures, déjà testées en 2021, n’ont guère infléchi la posture algérienne. Dénoncer l’accord migratoire franco-algérien de 1968 ?
Une piste évoquée, mais risquée, car elle pourrait aboutir à un durcissement supplémentaire de la coopération, alors même que Paris et Alger collaborent dans d’autres domaines, notamment la lutte antiterroriste.
Quant à l’idée de sanctions économiques, elle se heurte à une réalité simple : la France n’est pas le seul partenaire d’Alger, et ce dernier n’hésite plus à diversifier ses alliances vers Moscou, Pékin et même Ankara.
C’est pourquoi, aujourd’hui, le microcosme politique français attend la réaction du président Emmanuel Macron, qui devra se prononcer sur la trajectoire à donner aux relations franco-algériennes.
Apaisement ou escalade ? Sachant que Macron, dans ses tentatives de réconciliation mémorielle depuis 2022, avait initié un dialogue plus subtil, reconnaissant les blessures du passé tout en cherchant à tourner la page.
Sauf que cette stratégie a montré ses limites, le pouvoir algérien poussant toujours le bouchon plus loin. Comme il l’a fait avec le Maroc, en ayant rompu unilatéralement ses relations diplomatiques en 2021 avec le Royaume, sur fond d’accusations fallacieuses et absurdes «d'actions hostiles».
Ou encore avec le Mali, où son influence a été érodée face à la montée en puissance de la Russie. Dénonçant les ingérences persistantes de l’Algérie dans ses affaires internes, Bamako a ainsi décidé de mettre fin aux accords d’Alger de 2015.
Cette politique de confrontation systématique de la diplomatie algérienne n’est cependant pas simplement l’expression d’un caprice autoritaire.
Elle répond à une logique de diversion interne : dans un contexte économique morose, avec une jeunesse désabusée et des mouvements d’opposition réprimés, la multiplication des tensions extérieures permet au régime de détourner l’attention et de nourrir un nationalisme défensif.
Sauf qu’avec cette stratégie politique inconséquente, le pouvoir algérien risque surtout de s’isoler davantage, dans un monde où la diplomatie repose de plus en plus sur les alliances stratégiques et la coopération économique.
F. Ouriaghli