Chaque guerre produit ses discours et ses déclarations pour la légitimer, pour la justifier, pour lui donner un ancrage historique, pour lui donner un poids dans le passé, pour galvaniser les troupes, pour manipuler les opinions publiques, pour faire de la propagande, pour instrumentaliser le patriotisme et pour inscrire le conflit dans les annales de l’histoire.
C’est sur tous ces tableaux que joue le président russe, Vladimir Poutine, qui multiplie les sorties grand public, lors de forums improvisés ou des discours officiels transmis sur toutes les chaînes des télévisions russes.
Première phrase incontournable : «La défense de la patrie, lorsque son sort a été en jeu, a toujours été sacrée. Avec un patriotisme véritable, les miliciens de Minine et de Pojarski se sont levés pour la Patrie, sont partis à l’attaque sur le champ de bataille de Borodino, ont combattu contre l’ennemi près de Moscou et Léningrad, de Kiev et Minsk, de Stalingrad et Koursk, de Sébastopol et de Kharkov».
L’art de lier la guerre d’aujourd’hui aux souvenirs de la Grande Guerre face à l’Allemagne d'Adolf Hitler. Le discours est clair. Il prend. Il touche ses cibles. Ça marche.
Suit la phrase suivante, courte et incisive : «Aujourd’hui également, vous vous battez pour nous dans le Donbass, pour notre patrie». Le pont est jeté entre 1945 et 2022. Toutes les guerres se valent.
Tous les dangers sont bons à prendre pour justifier l’invasion du voisin ukrainien, qui selon Vladimir Poutine, veut «détruire les valeurs russes et nier l’histoire de la Grande guerre patriotique» avant d’ajouter pour marquer le but et l’objectif de cette guerre qui joue sur un champ sémantique immuable, celui de combattre le nazisme nouveau : «Nous avons toujours combattu contre le nazisme et notre devoir est d’honorer cette mémoire et de faire tout ce que nous pouvons pour que cette guerre globale ne se reproduise pas».
D’un côté, on crée un lien avec le nazisme, de l’autre on fait planer le spectre d’une guerre globale que l’on dit vouloir éviter.
Ceci sonne comme une menace claire et à peine voilée à l’adresse de l’Occident. Vladimir Poutine continue sur sa lancée : «Malheureusement les pays de l’Otan ne nous ont pas écoutés, ils ont préparé une invasion sur nos terres historiques, y compris la Crimée, ont commencé à s’approprier des territoires. Cela est une menace immédiate pour notre pays.»
Le tour est joué. L’ennemi est tout désigné. La Russie est en danger et elle ne fait donc que se défendre devant les agressions répétées de ses ennemis de toujours.
Les populations, même les plus sceptiques, adhèrent à ce discours et à ce point de vue.
Et d’ajouter pour galvaniser les troupes sur les fronts de guerre : «Je m’adresse aujourd’hui à nos troupes et nos milices dans le Donbass : vous vous battez pour notre patrie, notre futur, pour qu’il n’y ait jamais plus de nazis.
Nous avons vaincu en 1945, nous vaincrons aujourd’hui». La certitude de la justesse d’un combat. La promesse de la victoire dans une guerre qui engage le peuple russe dans ce qu’il a de plus fondamental, son identité.
Et la conclusion met justement en valeur cette particularité russe : «Tout peuple, en particulier le peuple russe, est capable de distinguer les vrais patriotes de la racaille et des traîtres. Le peuple russe peut les recracher comme un moucheron qui a atterri dans leur bouche ».
Quand ces phrases tournent en boucle sur toutes les télévisions russes, quand ces déclarations sont relayées sur toutes les ondes, sur les réseaux sociaux et sur d’autres canaux, les populations finissent par les retenir voire même y adhérer avec ferveur.
Ça a toujours été le cas dans toutes les guerres. C’est aujourd’hui encore plus vrai que jamais.
Il suffit de le dire et de le répéter pour que cela sonne comme une vérité. C’est le credo du président russe, Vladimir Poutine. Et ça fonctionne.
Par Abdelhak Najib, Écrivain-journaliste