C’est le propre des actualités de ce monde : jouer le temps pour faire entrer n’importe quel événement, même aussi grave et tragique que l’invasion d’un pays, dans la routine quotidienne. Jouer la carte du temps et de matraquage médiatique, 24h/24, pour le rendre banal et sans incidence aucune sur le cours des événements. C’est exactement ce qui arrive avec la guerre en Ukraine qui fait des milliers de morts et qui a déplacé plusieurs millions de civils dans pas moins de 6 pays frontaliers avec l’Ukraine. Des victimes anonymes, des réfugiés qui ont tout perdu, des familles brisées, des destins écrasés, au su et au vu du monde, dans l’impunité la plus criarde et sans aucun espoir de voir ce conflit se terminer, un jour prochain.
L’idée est simple, plus l’horreur est grande, plus le grand public l’avale sans cligner des yeux. Et quand on accepte l’inacceptable, le reste n’est plus qu’une formalité dont on s’acquitte avec aisance. On le vérifie aujourd’hui, les bombardements, les tirs croisés en rafale, les obus et les guérillas de quartier alimentent l’appareil médiatique à grand renfort d’images et de commentateurs, qui se gargarisent en parlant de la souffrance de tout un peuple, alternant gags et rires, dans un détachement bizarre face à une des tragédies humaines les plus dures de ce siècle. Le public, branché sur ces chaînes d’information en continu, finit par prendre le pli, et très vite, le nombre de morts qui tombent chaque jour ne le touche plus. Il devient anesthésié. Un grand écart se crée entre celui qui regarde le crime et la mort et les images qui défilent faisant de tout ce drame quelque chose d’impersonnel, donc de presque pas réel, qui ne nous émeut plus, qui ne nous révolte plus, que l’on digère dans l’acceptation comme un fait accompli et sans incidence sur nos vies.
Ceci les médias ne le savent que trop et ils en usent à outrance pensant à l’audimat. La mort et le crime deviennent un véritable fonds de commerce. Pour les belligérants, c’est pareil. On le voit bien, le président de la Russie, Vladimir Poutine, a réussi son pari de faire entrer sa guerre dans le quotidien banal et somme toute futile des populations mondiales, qui, elles, se sont très vite essoufflées, ne pouvant plus tenir le cap ni protester davantage. L’Ukraine, c’est désormais acté. L’Ukraine et ses morts, cela fait partie du décor quotidien. Plus personne ne s’offusque. Plus personne n’est en colère. La tension est tombée, avec le passage du temps.
Pire encore, le public attend du nouveau. Il veut voir ce qui va suivre. Et ce qui doit suivre doit être plus cruel, plus tragique, plus horrible, de préférence, puisqu’on passe d’un degré de l’horreur à l’autre en thésaurisant sur le précédent qui, du coup, ne nous touche plus. Cela porte un nom : la théorie du pire, qui justifie tous les dépassements et toutes les dérives habituant les publics à vouloir encore plus grave et plus horrible. C’est une constante humaine. Il ne faut pas s’en cacher ni la dissimuler. C’est ce qui gère le commerce entre humains, surtout quand les extrêmes sont atteints.
Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste