"Soit vous êtes dedans, soit vous êtes dehors". Le président de la Fifa Gianni Infantino est venu mardi au secours du football européen, bouleversé par la Super Ligue privée fondée par douze clubs dissidents, qu'il a menacés d'exclusion, sans toutefois avancer de mesures concrètes.
Infantino au chevet de l'UEFA et de son président Aleksander Ceferin, avec qui les divergences ont pourtant été nombreuses... La crise profonde qui frappe l'Europe du ballon rond a accouché mardi matin d'une image saisissante, symbole du traumatisme provoqué par la scission de douze clubs majeurs, dont le Real Madrid, Liverpool ou la Juventus Turin, en vue de créer leur propre compétition, une lucrative épreuve quasiment fermée aux autres clubs du continent.
Réunis en congrès à Montreux (Suisse), les représentants des 55 associations membres de l'instance européenne du football ont entendu Infantino réaffirmer fermement l'opposition de la Fifa à ce projet, "club fermé", "dissident des institutions existantes" et concurrent direct de la Ligue des champions, épreuve phare de l'UEFA depuis 1955.
"Soit vous êtes dedans, soit vous êtes dehors. Vous ne pouvez pas être à moitié dedans et à moitié dehors", a-t-il ajouté, agitant à nouveau, à l'unisson de l'UEFA, la menace de l'exclusion des clubs dissidents et de leurs joueurs de toutes les compétitions nationales et internationales... sans néanmoins citer de mesures concrètes ni de délai.
"Les promotions et les relégations sont un modèle qui a été couronné de succès", a encore lancé Infantino, s'opposant à ce système de ligue quasiment fermée, où les clubs fondateurs auraient leur ticket garanti chaque saison, au lieu de devoir se qualifier via leurs championnats nationaux.
La prise de parole d'Infantino au congrès de l'UEFA était particulièrement attendue par le football européen, qui aura besoin de la Fifa pour mettre en place les représailles qu'il entend infliger aux clubs sécessionnistes, comme celle, discutée juridiquement, de bannir leurs joueurs des compétitions internationales avec leurs sélections, comme l'Euro ou la Coupe du monde.
Les hostilités sont ouvertes depuis lundi entre l'UEFA, son président Aleksander Ceferin, et les douze clubs rebelles, qualifiés par le Slovène de "serpents" guidés "par l'avidité".
Le dirigeant a néanmoins ouvert la porte à une réconciliation en assurant les propriétaires des clubs concernés qu'il était "encore temps de changer d'avis".
Mais pour l'heure, la situation semble inextricable. Les clubs mutins seront-ils encore en lice dans leurs compétitions respectives d'ici les demi-finales de la Ligue des champions, dont les matches aller sont prévus la semaine prochaine et concernent trois des frondeurs (Real, Chelsea, Manchester City) ?
Le Danois Jesper Moller, membre du Comité exécutif de l'UEFA, a dit s'attendre à l'exclusion des clubs mutins vendredi lors d'une réunion de cet organe décisionnaire. Mais le tout-puissant patron du Real Madrid, Florentino Pérez, choisi pour être le nouveau président de la structure "European Super League", a assuré ne pas y croire.
"Je ne veux pas détailler les motifs légaux, mais ça n'arrivera pas, c'est impossible", a jugé le septuagénaire dans l'émission télévisée espagnole El Chiringuito.
Selon Antoine Duval, spécialiste de droit européen du sport à l'institut Asser de La Haye, une telle exclusion "exposerait l'UEFA à des actions en dommages et intérêts par les chaînes détentrices des droits TV".
Les fondateurs de la Super Ligue - six clubs anglais, trois espagnols et trois italiens - ont, de leur côté, déjà prévenu l'UEFA et la Fifa, dans une lettre consultée par l'AFP, qu'ils avaient lancé préventivement des procédures judiciaires pour garantir la naissance de leur projet.
Et la Comission européenne a déclaré n'être pas compétente pour bloquer la naissance de la Super Ligue, selon son vice-président Margaritis Schinas.
Pour l'UEFA, une telle compétition est inconcevable: elle a au contraire adopté lundi une réforme de sa C1 à l'horizon 2024, censée d'ailleurs contenter l'appétit financier des plus gros clubs en proposant plus de matches et un nouveau format de "mini-championnat" lors de la phase de groupes.
Mais cela ne semble pas perturber les frondeurs. En lançant leur compétition "dès que possible", sans plus de précision, les rebelles prétendent instaurer une ligue quasi fermée comparable aux championnats nord-américains de basket (NBA) ou de football américain (NFL).
S'ils n'ont pas réussi à séduire les clubs français et allemands pour le moment, les promoteurs ne désespèrent pas et tablent sur la présence de deux clubs français "au minimum" chaque saison, selon une source proche des clubs dissidents.
La Super Ligue prévoit une saison régulière opposant 20 clubs, puis des play-offs, avec quinze membres de droit (les 12 "clubs fondateurs" et trois autres à déterminer) et cinq autres équipes choisies "sur leur performance de la saison précédente".
La nouvelle compétition, selon ses promoteurs, est vouée à "générer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football". Les 15 clubs fondateurs recevront "un versement en une fois de l'ordre de 3,5 milliards d'euros". A titre de comparaison, l'UEFA avait perçu 3,2 milliards d'euros de recettes pour ses compétitions de clubs en 2018-2019, avant la pandémie, redistribués aux plus de 80 clubs participants à la C1 et à la C3.