Pris de court. C’est ce que pensent les responsables de l’administration américaine, qui malgré les multiples mises en garde du Président Joe Biden d’une attaque imminente de la Russie en Ukraine, ont pris les propos de Vladimir Poutine pour de la poudre aux yeux voire de divagations de la part d’un Chef d’Etat dépassé par les événements. Pourtant, tous les signaux étaient au rouge au moins 90 jours avant le lancement de l’invasion de l’Ukraine.
Ce qui met Washington dans une position inextricable étant incapable de faire autrement que de mettre sur pied des sanctions économiques qui peuvent certes inquiéter Moscou, mais qui peuvent aussi mettre à mal l’économie américaine en proie, elle aussi, à l’une des pires crises de son histoire, depuis 2008. La dette intérieure, la flambée des prix des matières premières, la mise à mal du Dollar sans oublier la balance commerciale qui s’enrhume et le gel de certains investissements cruciaux pour les finances américaines. Le tout avec cette terrible frustration qui consiste en l’incapacité des Américains d’en découdre de manière franche avec le président russe qui ne cache aucunement son hostilité à l’égard des États-Unis qu’il désigne comme l’une des causes majeures de cette crise ayant poussé plusieurs pays, jadis dans le giron soviétique, à intégrer l’OTAN au grand dam du Kremlin qui voit les missiles US, stationnés à quelques encablures des territoires russes, menacer la sécurité de la fédération de Russie. Sans compter la perte de l’influence russe sur ses anciens satellites qui ont opté pour le parapluie américain via l’alliance nord atlantique en tournant le dos à l’armée rouge, jugée par les Occidentaux comme obsolète, vieille et à la traîne.
Dans ce sens, la démonstration de force de Vladimir Poutine vise également à remettre les pendules à l’heure sur les réalités de son armée, de son poids sur le terrain et de sa puissance de frappe.
Ce qui n’est pas du tout du goût du Pentagone qui n’a eu de cesse de répéter que la Russie a du mal à moderniser ses corps d’armées à cause de la crise interne que traverse Moscou depuis plus d’une décennie. Pourtant, le chef du Kremlin a montré lors de nombreuses manœuvres militaires, à grand renfort de moyens terrestres, maritimes et aériens, que son armée se porte très bien. Mieux, le président russe, dans de nombreuses visites sur le terrain des opérations, a affirmé devant ses hauts gradés que la logique de guerre animait les rangs de son armée, plus prête que jamais à se faire respecter par les Occidentaux.
Ceci d’un côté. Sur un autre plan, le dilemme américain est inextricable dans ce sens que la politique étrangère US de deux poids, deux mesures drape tous les discours de Washington d’un manque évident de crédibilité à cause de son invasion de deux Etats souverains, l’Irak et l’Afghanistan, en les plongeant dans le chaos après vingt ans de conflit et d’occupation faisant fi des lois internationales et de l’intégrité territoriale de ces deux pays, aujourd’hui livrés à eux-mêmes face à des crises majeures à tous les stades et à tous les niveaux.
Pour Moscou, ce n’est certainement pas Washington qui doit donner des leçons sur le respect de la souveraineté des États aux Russes. C’est d’ailleurs le même manque de crédibilité qui fragilise l’Union européenne, jugée coupable par la Russie d’avoir fomenté l’éclatement de la Libye et de la Syrie.
Ce qui explique la rivalité entre les Occidentaux et Moscou sur le territoire syrien qui a donné une occasion sans précédent à l’armée russe de revenir aux affaires et d’installer sa présence en Méditerranée et au Moyen-Orient. Ce que le Pentagone voit d’un très mauvais œil considérant cette incursion comme un défi qui devait être puni. Mais comment ?
Un conflit ouvert ? C’est exclu. Mettre sur pied des opérations de déstabilisation du régime de Vladimir Poutine ? Très dur puisque le FSB, les services secrets russes, veille au grain. Imposer des représailles économiques ? Oui. Sauf que ce n’est pas uniquement la Russie qui peut en pâtir, dans une configuration économique mondiale où ce qui enrhume le Kremlin peut aussi gripper Wall Street et les autres places financières européennes.
Face à une telle équation à plusieurs inconnues, comment faire plier le chef du Kremlin et se dépêtrer de ce dilemme imbriqué où celui qui perd gagne du même coup en affaiblissant l’autre. Nous sommes là face à une logique géopolitique enchevêtrée qui met toute l’économie mondiale à mal à cause d’un conflit qui n’est que l’allume-gaz d’une tension régionale encore plus vaste dans cette Europe à la fois fatiguée et prise au piège. Une Europe divisée et en proie à la montée des nationalismes qui font virer le Vieux continent à droite au risque de voir d’autres conflits enflammer d’autres régions dans cette Europe à plusieurs vitesses.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste