Il a filmé la guerre arabo-israélienne, le mur de la séparation, l'orthodoxie, la démagogie, l'idéologie sioniste, les espoirs dissipés de la paix, les No Man's Land, les zones de non-droit, les tabous, l'extrémisme religieux.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-critique de cinéma
Il a essuyé la colère, la critique, le rejet, mais il a tenu bon en cinéaste convaincu, humaniste, militant pour la paix. Amos Gitaï fait figure d'ovni dans la région du Moyen-Orient où il est, pratiquement, le seul à proposer un cinéma excellent, en passant au crible la réalité crue d'une Free zone en guerre.
Un Israélien qui ose fustiger son tout-puissant État, dans des moments de grande crise politique et guerrière ? Cela existe, et Amos Gitaï, l'a fait durant toute sa carrière de cinéaste audacieux, atypique, intelligent, humain. S'il jouit aujourd'hui d'une réputation solide de grand artiste militant, dont le cinéma est une réflexion sur des thèmes comme la paix, le dialogue, l'impossibilité de vivre ensemble, la bêtise des politicards, la haine raciale, chez lui, les avis sont partagés entre ceux qui voient en lui un penseur qui pose les réels problèmes et tente de leur trouver des amorces de solutions.
Alors que d'autres rejettent son cinéma jugé dangereux, dégradant pour l'âme juive, provocateur et presque teinté de «traîtrise». Entre ces deux clans, Amos Gitaï continue de bousculer les sacro-saints principes de la guerre et de la paix. Il creuse plus profondément sa volonté de mettre ses concitoyens devant leurs responsabilités. Il pose, en des termes parfois choquants, la question de la terre et le droit à la vie de tous. Ni démagogue, ni politicien, mais un homme qui a le don de pouvoir transmuer la réalité en des images sublimes, sous une caméra qui pleut un feu de sensibilité, de courage et d'amour.
Des images pour le dire
Kedma, Kadosh, Kippour, Free Zone, Home House, Terre promise… Nous sommes face à un cinéma d'archéologue. Amos Gitaï scrute son histoire et celle, plus large, de tout le Moyen-Orient, en parfait spéléologue. Un boulot d'anthropologue qui met en scène les ingrédients de base pour poser les bases d'un conflit : héritage historique entre historicité et véracité, échanges de cultures et de traditions, acquis religieux (le sacré ayant une place de choix dans ce cinéma très irrévérencieux), volonté de domination, connaissances intimes de part et d'autre… Bref, chez Gitaï le cinéma n'est pas une affaire de petite histoire.
Non, il est plus question de pans entiers de l'Histoire qui sont mis en images, à travers des destins qui peuvent être communs, le vôtre, le mien, celui de tous. Et là, le politique, dans l'acception moderne du mot, prend une toute nouvelle signifiance : les mondes clos sont appelés à s'ouvrir ou à disparaître. En parlant de Kadosh et de la communauté qu'il y décrit, Amos Gitaï résume en quelques mots toute l'histoire de Jérusalem : «Certains sont opposés à l'Etat d'Israël, parce qu'il constitue un péché contre le Messie, d'autres sont nationalistes, d'autres encore font passer avant tout l'attachement à la terre, mais certains sont aussi modérés, ou pacifistes.» Et le cinéaste voyage dans ces méandres de pensée laissant le jugement de côté, mais focalisant son zoom sur la part humaine en chacun, la vérité des êtres. Un univers qui se penche sur les traits fondamentaux d'une croyance, d'une religion, sa relation au sacré, est toujours à la pointe de l'interdit.
Pourtant chez Gitaï, les limites sont autres, certainement pas celles de l'esprit et du cœur. Parlant de la religion et de ses dérives, il multiplie les exemples contradictoires de nos croyances et insiste sur le rôle, à contre-courant que joue la femme, dans ce type de société, où le sacré semble être l'apanage des mâles : «La grande contradiction inhérente aux religions monothéistes est la place qu'elles accordent aux femmes. C'est étrangement l'un de leurs points communs : le pouvoir religieux est un pouvoir exercé par les hommes. Les femmes subissent, avant tout, des rituels. Je souhaitais donc opposer à cela des caractères féminins forts (dans Kadosh, entre autres, mais aussi Kedma et Free Zone). Ce sont les femmes qui mettent en question, la légitimité de la façon d'agir des hommes, qui obéissent eux aux commandements de la religion.
Je voulais utiliser la part féminine qui est en moi, pour exposer la destinée de deux femmes, deux sœurs, qui vivent confinées dans un quartier hermétique, montrer leur besoin d'amour, les sentiments de compassion qu'elles éprouvent l'une pour l'autre, et les limites imposées par la communauté à ces sentiments».
Une histoire de vie simple qui peut être celle du monde, comme deux sœurs aux prises avec l'impossibilité de faire, de dire et d'être. C'est un peu cela le cinéma d'Amos Gitaï.