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Les ravages des drogues au Maroc. Hamid : Le caïd des rues

Les ravages des drogues au Maroc. Hamid : Le caïd des rues

L’histoire que je vais vous raconter est celle de dizaines de milliers de jeunes Marocains, garçons et filles, qui n’ont plus que la rue comme domicile. C’est l’histoire de vies brisées. C’est la chronique réaliste de destins broyés par le rouleau compresseur des jours.
 

Hamid n'est qu'un cas parmi des milliers. Ils sont seuls, ils sont en bande, ils sont livrés à des gangs. Les enfants des rues se droguent à tout : ils sniffent de la colle, ils prennent du «Karkoubi», ils inventent leurs propres hallucinogènes. Ils sont agressés de partout, ils sont violés par des membres de leurs gangs, ils sont sous-nourris, ils sont exploités par des trafiquants de drogues à la petite semaine. Ils sont surtout les victimes de pédophiles qui les maltraitent et les asservissent moyennant quelques sous. Presque personne d’entre eux ne s'en sort, sauf miracle. La majorité finit plongée dans la toxicomanie ou prend un coin de cellule à Oukacha. Ils sont récidivistes. Ils sont en colère. Ils en veulent à l'État, à la société, à leurs familles, à la rue, à vous et moi. 

Avant qu'ils ne se transforment en véritable danger ambulant et en criminels, il faudra agir. Il faut regarder en face ce terrible dossier des enfants des rues. Il faut l’affronter et remédier à la vie de ces milliers de jeunes dans l’urgence.
 
On le sait et on le voit tous les jours, de larges campagnes d'embrigadement et de radicalisation religieux ont été lancées pour récupérer cette jeunesse en rupture de ban. Certains «mollahs» locaux font la tournée des rues dans des quartiers défavorisés pour appâter ces mômes qui peuvent tomber dans les pires pièges pour un sandwich. Le gouvernement, la société civile, la société tout court, tout le monde est responsable de cette situation, qui dure depuis plusieurs décennies prenant aujourd’hui des ramifications plus graves et plus inquiétantes. Autrement, cette véritable bombe à retardement fera des dégâts sans précédent.

Hamid, un maigre mais beau garçon, accoutré d'une culotte et d'une chemise usées, qui sont un peu trop grandes pour lui, a l'air d'avoir dix ans, mais il en a au moins quinze en réalité. Les trottoirs devant un grand magasin du boulevard Mohammed V, constituent son domaine principal de survie, plus exactement celui de son petit groupe de gamins des rues. C'est là où, de préférence, il se débrouille pour survivre. Une bonne douche lui ferait du bien. Mais sa douche à lui, c'est l'eau de mer. Et il ne peut s'en servir «qu'en été, lorsque la mer devient chaude». 

En d'autres saisons, peu lui importe l'hygiène du corps. Ses problèmes les plus importants sont alors le froid, la faim, la soif, un abri, la peur des rafles... La plaie qu'il porte à une cheville a toutes les chances de s'aggraver davantage en quelques jours faute de soins. Mais Driss n'est pas toujours triste. Contre l'angoisse et la tristesse, il a ses copains et ses copines, mieux encore, son sac en plastique contenant de la colle, qui libère assez de vapeurs de solvants enivrants pouvant momentanément lui changer la vie. En cas de besoin, il lui suffit de plaquer l'ouverture du sac sur le nez pour se trouver dans un monde imaginaire de bonheur, loin de son environnement réel et infernal. 

Depuis quelques années, sa mère et sa sœur vivent du métier le plus vieux du monde. En fait, c'est la seule chose qui leur reste à faire dans leur condition d'exclues sociales, parce que c'est le plus facile des métiers, bien que ce soit aussi le plus dangereux, comme chacun le sait. 
«Dans la médina, tu peux crever comme un chien pour un bout de pain. Réveille-toi, mon frère, je ne vais pas compter sur ma mère, qui, elle, ne peut compter sur personne, même pas sur elle-même». Il n'en veut pas à sa mère, mais c'est tout comme. Des sentiments mélangés. La confusion des genres. Aimer, haïr ? Hamid passe d'un état à l'autre en une fraction de seconde.

Il y a trois ans, Hamid devait, à son tour, quitter la maison, un taudis situé dans l'une des ruelles de l'ancienne médina, pas loin du port pour se débrouiller et survivre dans la rue. Il n'avait que cinq ans lorsque Ahmed, son père, alors chauffeur de bus, avait été licencié pour faillite et n'arrivait plus à trouver un autre travail. Il était battu par ce même père alcoolique et une mère dépressive.

Des liens familiaux douloureux : «Mon père buvait et frappait tout le monde. Ma mère est sortie dans la rue. Et ma sœur l'a suivie». Sec. Tranchant. Sans état d'âme. Hamid a la haine, la rage, la colère. Il dit attendre le moment pour en découdre avec quelqu'un. Peut-être bien tout à l'heure au port. Tous les prétextes sont bons pour se faire mal. Et si tu reçois un mauvais coup ? Je m'en fous. Autant crever. Mieux vaut en finir. De toutes les façons, c'est comme ça que ça finira un jour : tuer ou être tué». Terrible d'entendre cela de la part d'un gamin qui pèse trente kilos tout mouillé et qui a une telle rage au ventre que cela éclate dans un regard noir, vide, glacial. 

Pourtant, c’est cela la vie de ce garçon, des tubes de colle à sniffer, la faim au ventre et l’envie d’en découdre avec le  premier venu, pour un oui, ou pour un non. 

Famélique, petit de taille, le corps noueux, ce môme se prend vraiment pour un caïd. Il roule des mécaniques, il parle de travers, il a constamment un rictus aux lèvres et il brave tout le monde allant au corps à corps. Son rêve ? «Trouver de l’oseille pour s’approvisionner en crack et devenir le dealer de toute la zone du port de Casablanca. Il y a un fric fou à se faire. En deux ans, j’aurais une voiture, une maison et une nana et j’irai pisser sur les tombes de tous ceux qui m’ont fait du mal».

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