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Les ravages des drogues au Maroc : La colle à sniffer tue à petit feu

Les ravages des drogues au Maroc : La colle à sniffer tue à petit feu

Quitter le domicile familial. Tourner la page des parents. Oublier l’école. Choisir la rue et le vagabondage comme mode d’existence, c’est le lot de milliers d’enfants.

 
Par Abdelhak Najib
 

Ces derniers ont coupé tous les liens avec ce qui fait la vie en société. Ils ont rompu avec tous les garde-fous. Les terrains vagues, les cimetières, les rochers en bord de mer, sous les ponts, passant d’une zone à l’autre, quand la colle à sniffer devient le seul viatique pour un gosse, c’est que celui-ci a déjà franchi les neuf cercles des enfers.  

Mais, il faut aussi savoir qu’il n'y a pas que des mecs qui écument le macadam avec un sachet en plastique à la main, gorgé de silicone, dont les effluves embaument le cerveau et mettent le sniffeur dans un état triple. Les filles sont de plus en plus nombreuses à faire cause commune avec les parias des villes. Les garçons, eux, rivalisent d'ingéniosité pour fuir la réalité : «Je sniffe tout le temps, même la nuit, j'ai mon sachet sur le nez. Pourquoi ? Pour ne pas avoir à parler à des gens comme toi. Je veux oublier, me perdre, et quand je sniffe, je suis bien. Et pour que le voyage soit complet, j'avale quelques cachets, et là, je suis comme un lion. Celui qui vient me faire chier, je suis capable de l'envoyer à l'hosto».

Saïd a déjà à son tableau de chasse quelques types qu'il a sérieusement amochés, juste parce qu'il était en rogne. «Non, rien de bien sérieux. On m'a cherché des noises, et je me suis défendu. J'ai ouvert la joue à un type avec un tesson de bouteille et j'ai fendu la tête à un autre avec un gros caillou. Je n'ai même pas été arrêté. Tu sais entre les clochards, la police nous laisse faire. Les flics sont contents de nous voir nous entretuer. Ils auront des soucis en moins». 

Pour Saïd, le mélange de la colle et d’autres substances n'est pas méchant : «Je fais le même mélange depuis des années. Et regarde, je suis solide comme une pierre (Saïd a le corps noueux, veiné, mince comme un clou et dur comme de l'acier). Des fois, j'ajoute un peu d'alcool à brûler et je suis parti». Pour les addictologues, les choses sont simples : «sniffer de la colle est extrêmement néfaste. Après quinze à trente minutes d'inhalation, celui qui l'utilise, généralement à l'aide d'un sachet en plastique, en ressent déjà l'effet, et peut donc «planer d’une à deux heures. Le cerveau tourne au ralenti, la personne droguée perd la notion exacte du temps et de l'espace».

Des pertes de conscience, Saïd en a fait par dizaine. D'ailleurs, il ne les compte plus : «Oui, je me suis évanoui plusieurs fois. Et une fois, dans un terrain vague, un type a voulu me violer. Le lendemain, les copains m'ont raconté qu'il m'avait enlevé le pantalon. Je suis allé le chercher et je lui ai planté un ciseau dans l'épaule.» Saïd n'avouera jamais qu'il a été violé à moult reprises. Non, il est trop fier pour supporter l'idée qu'il s'est fait trousser comme un bleu par plus fort que lui. Mais dans son entourage, tout le monde sait qu'un jour ou l'autre, on passe à la moulinette et on se fait éclater le sphincter dans la froideur des terrains vagues ou derrière les portes des immeubles du centre-ville. D'ordinaire, les viols entre  vagabonds sont collectifs. On se saisit d'un gamin et on le viole à tour de rôle. Généralement, ils dégénèrent et on en ressort avec des balafres pour la vie.

La règle à garder en tête est claire : dans la rue, on ne peut compter sur personne. C'est chacun pour sa poire. Et malin est celui qui protège son derrière. Quand on est clochard, on est seul, comme le jour de sa naissance et celui de sa mort, mais on a besoin d'une bande pour abriter sa misère. Mieux vaut être plusieurs à rôder, que seul à tenter tous les autres obsédés qui sillonnent la ville à la recherche d'un gamin à se faire. Les addicts sortent en groupe. Chassent en groupe. Ils font les quatre cents coups en groupe. Ils volent en groupe, ils sniffent et dorment en groupe. Quand ça va mal, c'est chacun pour soi. «On est tout le temps ensemble. Driss est le plus grand. C'est lui le chef. On le suit, il nous commande et il nous protège des autres groupes». 

Entre bandes de vagabonds, c'est toujours la guerre. Conflits de territoire, places à prendre, d'autres à préserver. Il faut être plus alerte, plus courageux, plus salopard que le voisin, pour fouiller dans une poubelle, se planter devant un snack, rôder devant un bar et ramasser les mégots. «Driss nous envoie voler des légumes ou du pain dans les épiceries. On vole aussi des fruits. Parfois un portable ou un sac à main. On lui remet le tout. Il revend ce qui peut l'être et on partage. L'argent sert à acheter la colle et l'alcool à brûler».
Et les jours défilent selon le même rythme, réglé comme une horloge : sniffer, casser la croûte, faire les 400 coups, se faire du mal et attendre… la fin.

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