Porté par la vision stratégique du Roi Mohammed VI, le Royaume se développe et affirme sa volonté de modernité et de rayonnement international. Mais derrière la dynamique actuelle, persistent des fragilités structurelles qui empêchent de rendre les progrès vraiment inclusifs.
Par D. William
Comme dans tout bon récit, il y a une vision. Celle d’un Roi qui a compris avant tout le monde que la grandeur ne se mesure pas à la taille du pays, mais à l’ambition qu’il cultive. Alors, il a tracé la voie du Maroc avec nombre de projets structurants. Nous en citerons deux très emblématiques : d’abord, le complexe portuaire Tanger Med, leader en Afrique et en Méditerranée, qui a traité 10.241.392 conteneurs EVP en 2024.
Ensuite, Al Boraq, ce train à grande vitesse qui relie Tanger à Casablanca et qui, au moment de son lancement en 2018, avait suscité plus de soupirs que d’applaudissements dans certains cercles. «Trop cher», disaient les uns. «Pas prioritaire», assuraient les autres. Mais les chiffres ont fini par faire taire les Cassandres : 5,5 millions de voyageurs en 2024 (+6%) pour un chiffre d’affaires de 780 MDH (+11% par rapport à 2023).
Des performances qui font d’Al Boraq un symbole de modernité et une fierté nationale. Aujourd’hui, le Royaume pousse l’ambition un cran plus loin. Kénitra-Marrakech : c’est la prochaine escale de la modernité. Un projet structurant de 53 milliards de dirhams, pour 430 kilomètres de lignes à 350 km/h, qui réduira le trajet Tanger-Marrakech à 2h40 (au lieu de 5h), et permettra de relier Rabat à l’aéroport Mohammed V en 35 minutes.
Au total, le programme ferroviaire engagé s’élève à 96 milliards de dirhams, incluant l’acquisition de 168 trains et le développement de trois réseaux métropolitains dans les agglomérations de Rabat, Casablanca et Marrakech. Au-delà des chiffres, il y a une clairvoyance. Celle du Roi Mohammed VI, qui ne conçoit pas l’infrastructure comme un simple ruban à couper devant les caméras, mais comme une colonne vertébrale pour le développement économique, une arme pour l’inclusion territoriale et un levier de compétitivité. En cela, la LGV n’est pas qu’un train. C’est un trait d’union entre les ambitions de modernité d’un pays et les attentes d’un peuple.
L’effet CAN 2025 – Mondial 2030
Dans ce décor de grands travaux, il y a deux dates qui clignotent comme des étoiles dans le ciel économique du Royaume: 2025 et 2030. L’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations, puis celle ô combien symbolique de la Coupe du monde co-organisée avec l’Espagne et le Portugal, ne sont pas seulement des événements sportifs.
Ce sont des accélérateurs de développement. Des catalyseurs économiques. Modernisation urbaine, extension des infrastructures aéroportuaires (nouvel aéroport à Casablanca, agrandissement de ceux de Marrakech, Tanger, Fès et Rabat…), rénovation des stades de Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès, Tanger et Agadir… Rien n’est laissé au hasard. Cette effervescence ne profite pas seulement aux grands groupes internationaux. Elle ouvre aussi de véritables boulevards aux entreprises marocaines, notamment dans les secteurs du BTP, de l’ingénierie, du génie civil, du design, de la domotique ou encore de la maintenance.
Le secteur bancaire, également, verra son encours de crédits exploser grâce au financement des projets structurants. Quant aux télécoms, ils bénéficieront de l’explosion du trafic voix/ data et de la montée en puissance de la 5G. Le Maroc l’a bien compris : il y aura beaucoup de monde à satisfaire. C’est pourquoi d’ailleurs les acteurs du secteur touristique sont sur le pied de guerre. Le tourisme, c’est souvent la première vitrine d’un pays. Et le Maroc a décidé de la polir comme un bijou.
En 2024, 17,4 millions de visiteurs ont foulé le sol du Royaume, soit une hausse de 20% par rapport à 2023, et 35% de mieux qu’en 2019, année d’avant Covid. Un exploit qui, à juste titre, fait jubiler la tutelle dont l’objectif 2030 est bien circonscrit : intégrer le top 15 des destinations mondiales avec 26 millions de touristes et générer 120 milliards de dirhams de recettes et 200.000 emplois supplémentaires.
Des nuages gris
Tout cela est bien exaltant. Mais l’horizon n’est pas totalement dégagé. Premier nuage : le déficit hydrique. Même s’il y a un léger mieux ces dernières semaines, le Maroc fait face à une sécheresse structurelle, avec une chute de 58% des ressources hydriques. L’agriculture, qui pèse encore 13% du PIB et occupe 40% de la population active, trinque et reste le talon d’Achille d’une économie qui peine à se détourner du ciel.
Pour la campagne 2024-2025, la récolte céréalière est estimée à 44 millions de quintaux, soit une progression de 41% par rapport à l’année précédente, mais cela demeure encore insuffisant. Alors, pour faire face au stress hydrique, le Royaume s’arme. Pas moins de 143 milliards de dirhams sont déjà mobilisés pour le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation. Et le dessalement devient l’une des options clés, avec 15 stations déjà en place et une super-usine en chantier à Casablanca, alimentée à 100% par des énergies renouvelables.
Deuxième nuage : le chômage, notamment chez les jeunes. En 2024, malgré la création de 82.000 emplois, le nombre de chômeurs a augmenté de 58.000 personnes pour atteindre 1,64 million. Le taux de chômage national est passé à 13,3%, celui des jeunes de 15-24 ans à 36,7% et celui des diplômés à 19,6%. Une équation insoluble tant que la croissance ne dépassera pas durablement les 6%, seuil nécessaire, selon les projections du nouveau modèle de développement, pour absorber la demande d’emplois. Le gouvernement tente d’agir : 12 milliards de dirhams pour une nouvelle feuille de route pour l’emploi, programmes d’aide à l’insertion (Idmaj, Awrach, Ana Moukawil…), soutien ciblé aux jeunes et aux femmes… Mais les résultats tardent à se faire sentir.
Du coup, le ressenti populaire, lui, reste morose. C’est là tout le paradoxe. On a une économie à deux vitesses. D’un côté, il y a une dynamique portée par des événements sportifs planétaires, avec des politiques publiques volontaristes et de gros investissements dans d’énormes chantiers structurants. De l’autre, il y a une économie réelle encore grevée par des fragilités et des faiblesses structurelles. Dès lors, si la CAN 2025 et le Mondial 2030 sont des boosters, ils ne résoudront pas tout. L’économie marocaine devra, à un moment ou un autre, repenser sa matrice pour moins dépendre de l’agriculture pluviale et développer davantage le PIB non agricole.
Convenons néanmoins d’une chose : le Maroc n’est pas à l’arrêt. Il bouge. Il investit. Il prend des risques. Il rêve grand. Sous l’impulsion du Souverain, il a des ambitions légitimes de se moderniser et de se développer. Et rien que cela, c’est déjà énorme. Le reste ? Le reste dépendra de la capacité des wagons à suivre la locomotive. De la cohérence entre vision stratégique et exécution locale. De la connexion entre l’élite dirigeante et les citoyens. Car il ne suffit pas que le train parte à l’heure, encore faut-il que tout le monde y monte.