Le pouvoir algérien, mené par le président de la république, Abdelmajid Tebboune, et supervisé par l’armée, applique à la lettre tout ce qu’il avait promis, en muselant les opposants et en condamnant toutes les voix dissidentes du pays.
Promesse faite. Promesse tenue. Avec un dernier fait en date qui vient consacrer cette vision du pouvoir absolu dans ce qui semble être l’une des dernières dictatures du Monde arabe. En effet, le journaliste algérien Rabah Karèche, incarcéré depuis avril 2021, a été condamné le 11 octobre 2021 à un an de prison, dont six mois ferme. Un verdict lourd qui s’appuie sur une accusation devenue monnaie courante en Algérie : la diffusion de ce que le régime nomme «fausses nouvelles».
Dans le même temps, un autre tribunal a confirmé en appel la condamnation à deux ans de prison ferme de Chems Eddine Laalami, une des figures du mouvement de protestation populaire du Hirak. Ces deux noms viennent grossir une liste déjà très longue de tous les visages qui ont fait les frais d’une oppression radicale, qui écrase tout sur son passage. Des simulacres de procès sommaires, des jugements à huis clos et des vies détruites à jamais face à un rouleau compresseur qui recycle toutes les méthodes héritées du passé stalinien du pays. Derrière chaque arrestation de ces activistes et autres leaders d’opinion, les sources sécuritaires algériennes avancent la même explication, avec une unique version des faits : des liens directs ou indirects avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK). Une organisation qualifiée de terroriste par le pouvoir en place depuis fin mai 2021.
La justice algérienne met sous écrou tous ces détenus d’opinion et prisonniers politiques en les accusant de graves délits, comme la traditionnelle «atteinte à l’unité nationale», l’appartenance à «une organisation étrangère complotant contre l’autorité de l’État», ou encore des motifs sommaires comme «attroupement non armé», «rébellion», «trouble à l’ordre public» et «violation des dispositions sanitaires relatives à la Covid-19» , sans oublier la sempiternelle «diffusion de publications pouvant porter atteinte à l’intérêt national».
Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), plus de 200 personnes ont été jetées dans les prisons algériennes. Pour les autorités sécuritaires, elles ont toutes un lien avec le mouvement de protestation pro-démocratie Hirak, qui secoue le pays depuis 2019. C’est ce qui fait dire à plusieurs défenseurs des droits humains en Algérie, que le pays s’est transformé en une prison à ciel ouvert où n’importe quelle protestation peut conduire à une condamnation ferme. «Nous sommes choqués par ce verdict. Il n’a rien fait. Il a simplement relaté des faits. C’est une décision qui ne s’explique pas judiciairement», a dénoncé Me Zoubida Assoul, évoquant «une décision plus politique que judiciaire» concernant le journaliste Rabah Karèche.
Rabah Karèche était poursuivi notamment pour «diffusion volontaire de fausses informations susceptibles d’attenter à l’ordre public». Il lui est également reproché la «création d’un compte électronique consacré à la diffusion d’informations susceptibles de provoquer la ségrégation et la haine dans la société» et d’avoir porté «atteinte à la sûreté et l’unité nationale». Pour Rabah Karèche, tout remonte à la publication, dans son journal et sur sa page Facebook, du compte-rendu d’un mouvement de protestation des Touaregs.
De son côté, Chems Eddine Laalami, figure du mouvement de protestation populaire du Hirak, était poursuivi pour «discours de haine, outrage à corps constitué, diffusion de fausses informations» et «incitation à attroupement non armé». Ce tailleur, âgé de 30 ans, avait manifesté en février 2019 à Bordj Bou Arreridj pour dénoncer la candidature à un cinquième mandat présidentiel du défunt président Abdelaziz Bouteflika. On s’en souvient, suite à cette affaire, un mouvement contestataire, populaire et pacifique avait éclaté peu après dans les grandes villes algériennes. C’est ce qui avait obligé Abdelaziz Bouteflika à démissionner.
Selon la Ligue algérienne de défense des droits humains (LAADH), la répression arbitraire a battu tous les records depuis 2019. «Halte à la répression. La feuille de route autoritaire et du tout sécuritaire aggrave dangereusement la crise», avait affirmé le vice-président de la LAADH, Said Salhi. Il dénonce une «escalade inquiétante de la répression, elle est aveugle et sans discernement», avant de préciser que cette vague «d'arrestations arbitraires qui s’intensifient et ciblent des militants de tous bords» précipite le pays dans le chaos et consolide les rangs des contestataires, chaque jour plus nombreux et plus déterminés à en finir avec la dictature.
D’après les médias algériens, une ambiance «début des années 90», c'est-à-dire les années de purge qui ont causé plus de 200.000 morts en une décennie, règne aujourd’hui en Algérie avec la recrudescence de la vague d’arrestations, d’incarcérations et de répression quotidienne. Dans ce sens, le domicile de la militante Mira Moknache, enseignante universitaire très connue en Algérie, a été perquisitionné ainsi que celui de l’écrivain et chercheur Abdesselam Abdenour, qui a fait les frais, lui aussi, de cette campagne d’arrestations arbitraires. Un appel unitaire a été lancé en mai 2021, par plus de 300 personnalités, militants et ONG pour dénoncer ce qu’ils ont nommé : «l'offensive sécuritaire et judiciaire» du pouvoir à l'encontre du peuple algérien.
Deux ans après le début du mouvement de protestation, les signataires de cet appel réclament notamment la libération des prisonniers politiques et le rétablissement des «libertés constitutionnelles». Des appels qui restent tous lettre morte face au silence des autorités et au resserrement de l’étau qui écrase les populations en les réduisant au mutisme absolu.
Il faut ici rappeler que de nombreux journalistes algériens sont actuellement en détention. Le journaliste Mohamed Mouloudj, du quotidien Liberté, en fait partie. Il a été inculpé et écroué en septembre 2021 pour «appartenance à une organisation terroriste» et «diffusion de fausses informations».
Ce qui explique largement pourquoi l’Algérie occupe la 146ème place sur 180 pays du classement mondial de la liberté de la presse de l’ONG Reporters sans frontières (RSF).
Par Abdelhak Najib, écrivain-journaliste