Les adouls ont mené une grève nationale d’une semaine pour dénoncer le refus par la tutelle de leur accorder le droit de dépôt de consignation. Dans une lettre adressée au ministère de la Justice, les notaires les accusent d’usurper leur fonction et de porter atteinte à leur profession.
Par M. Ait Ouaanna
Pendant toute une semaine, soit du 29 janvier au 5 février, les adouls ont tous baissé le rideau afin de sortir dans les rues protester contre les dernières déclarations faites par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, à propos de leur profession. Dans un communiqué diffusé à cet effet, l’Ordre national des adouls a précisé que cette grève nationale n’est qu’une première étape du mouvement de contestation et a exprimé l’intention d’établir progressivement un programme de lutte. Revenons à l’élément déclencheur de cette grogne. Lors d’une séance parlementaire, Abdellatif Ouahbi a annoncé le refus catégorique par le gouvernement et les instances compétentes d’accorder aux adouls le droit de dépôt de consignation.
Justifiant cette décision, le ministre a avancé que la pratique par les adouls de certains actes liés aux transactions immobilières et leur réception de sommes d'argent de la part des parties contractantes ont été rejetées, étant donné que le travail de ces auxiliaires de justice traditionnels dépend de la réception d'un certificat provenant d'un notaire. Par conséquent, les notaires demeurent les seuls habilités à recevoir les dépôts de consignation, une exclusivité qui, depuis de nombreuses années déjà, attise la colère des adouls qui dénoncent une certaine forme de discrimination.
«La grève nationale menée par les adouls la semaine dernière vient en réponse au non-respect par la tutelle de bon nombre d’engagements mentionnés dans l’avantprojet de loi qui a été soumis au Secrétariat général du gouvernement», souligne Bouchaib Jirar, adoul à Casablanca. Clamant haut et fort être défavorisés par rapport aux autres professionnels du secteur, notamment les notaires, les adouls pointent du doigt les dispositions de la nouvelle réforme contenue dans le projet de loi 16.22. D’après eux, ces dispositions les privent notamment du droit de dépôt, mettent en péril les droits acquis jusqu’à présent et gênent le déploiement de la Constitution de 2011. Les adouls dénoncent également leur exclusion de la rédaction des contrats de vente à crédit bancaire et leur non autorisation à intervenir dans des actes liés au logement subventionné par l’Etat.
Une loi «déphasée»
Face à un cadre réglementaire qu’ils estiment obsolète et mal adapté aux évolutions constantes de la profession, les adouls exigent que ledit projet de loi soit en adéquation avec les attentes des citoyens, tout en préservant le principe d'égalité entre les différentes professions juridiques. En plus de la révision de la loi 16.03 régissant la profession, les adouls réclament également la valorisation de leurs droits, l’indépendance de leur profession ainsi que la modernisation et la dématérialisation des processus.
«Dans le cadre de la réforme du système judiciaire, nos revendications ne divergent pas de celles des autres professions considérées comme auxiliaires de la justice. Nous appelons, entre autres, à la modernisation des structures de cette profession afin d’être en phase avec la transition digitale que connaît le pays. D’autant plus que la profession des adouls assiste ces dernières années à un changement au niveau de ses ressources humaines grâce à l'arrivée de jeunes, dont des femmes, ayant suivi une formation les préparant à s’adapter aux évolutions technologiques. Ces nouveaux profils ont besoin d'une loi novatrice qui répond aux exigences de l'ère actuelle et qui démantèle les mécanismes traditionnels d’authentification judiciaire. Il est indispensable de mettre en place des mécanismes modernes en adéquation avec le développement numérique. Cela va permettre de protéger les droits des parties contractantes et d’améliorer les services proposés par les adouls», détaille Bouchaib Jirar.
Les notaires pas prêts à baisser les bras
En plus d’avoir mis à nu certaines lacunes du système judiciaire marocain, la grève nationale des adouls a rallumé les braises d’une tension de longue date entre les adouls et les notaires. Entre ces deux camps, la hache de guerre semble loin d’être enterrée. Dans une lettre adressée le 30 janvier au ministère de la Justice, le Conseil national de l’ordre des notaires demande à la tutelle d’intervenir en urgence pour mettre fin à «l’usurpation de fonction» pratiquée par certains adouls. Dans ce même document, le Conseil signale que des procédures judiciaires seront engagées à l’encontre des adouls concernés. A cet égard, Me Mohamed Najib Manaf, notaire à Casablanca, nous a expliqué que certains adouls utilisent le titre «adoulnotaire», ce qui est «inadmissible».
«Il s’agit d’une pratique largement répandue. Un peu partout au Maroc, des adouls mettent à l’entrée de leurs bureaux une plaque signalétique sur laquelle est mentionné «adoul-notaire». Ce qui est complètement illégal», s’insurge-t-il. De son côté, Abdellatif Yagou, président du Conseil régional de l'ordre des notaires de Casablanca, a relevé que la lettre adressée au ministère de la Justice est avant tout un rappel à l’ordre. A travers cette correspondance, «le président du Conseil national sollicite l’intervention de la tutelle, pour inciter les adouls à respecter la loi et cesser ces agissements qui portent atteinte à la profession de notaire. Il s'agit tout simplement de l'application des dispositions légales qui protègent la profession contre toute personne qui tente d'usurper la qualité de notaire», précise-t-il.
Des adouls «hors-la-loi»
Dans le même ordre d’idées, Abdellatif Yagou fait savoir que l’utilisation par certains adouls de la qualité de notaire dans la plaque apposée à l’extérieur du cabinet constitue une infraction vis-à-vis de la loi 32.09 réglementant la profession de notaire et envers les dispositions du Code pénal. «Pour rappel, l'article 93 de la loi 32.09 réglementant la profession de notaire stipule que «Est considéré comme ayant usurpé le titre d'une profession réglementée par la loi et puni des peines prévues à l'article 381 du Code pénal, quiconque s'est attribué le titre de notaire sans remplir les conditions requises pour le port de ce titre ou utiliser tout moyen pour porter des tiers à croire qu'il exerce la profession de notaire».
Et l'article 381 du Code pénal dispose : «Quiconque, sans remplir les conditions exigées pour le porter, fait usage ou se réclame d'un titre attaché à une profession légalement réglementée, d'un diplôme officiel ou d'une qualité dont les conditions d'attribution sont fixées par l'autorité publique est puni, à moins que des peines plus sévères ne soient prévues par un texte spécial, de l'emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 2.000 à 5.000 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement», argumente-t-il. Et de poursuivre : «Comme on peut l’observer, ces dispositions sont générales et ne s'appliquent pas uniquement aux adouls, mais à toute personne qui usurpe cette qualité. La lettre adressée au ministère est donc une simple action pour faire cesser une situation qui porte préjudice à la profession. Elle vise aussi à obliger les adouls à respecter la loi et à cesser de semer la confusion chez les citoyens en utilisant le titre adoul-notaire. Car il s'agit bel et bien de deux professions distinctes et incompatibles de par la loi». Par ailleurs, Abdellatif Yagou relève qu’il appartient aux adouls de cesser de «porter préjudice» à la profession notariale et de créer une polémique «injustifiée» autour d'un sujet «tranché par les dispositions légales susvisées».
«Devant l'insistance de la profession des adouls à continuer dans la voie de l'amalgame et l'usurpation flagrante, il est du devoir de l'Ordre national des notaires, représentant légal et unique de la profession, de veiller à l'application de la loi et de défendre ses intérêts devant les instances gouvernementales, et le cas échéant devant la justice», conclut-il.