L’alpiniste marocaine Bouchra Baibanou brave le froid, la fatigue et le danger pour accomplir les meilleures performances. La dernière en date, l’ascension du mont Annapurna dans l’Himalaya, un sommet des plus rudes au monde.
La dame aux 7 sommets franchis brandit avec fierté le drapeau national dans les cieux du Népal.
Entretien avec une championne que rien n’arrête.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Après avoir réussi le défi des 7 sommets, vous voilà à nouveau sur le toit du monde, en escaladant cette fois-ci l’Himalaya, l’un des monts les plus redoutables. Quel est votre secret de longévité et d’où puisez-vous la force pour réaliser ces challenges ?
Bouchra Baibanou : Je n’ai pas de secret particulier, mais je suis une passionnée dans la vie. Mon amour inconditionnel pour la montagne y est pour quelque chose. J’adore l’alpinisme et sa pratique. C’est une motivation sans faille. Il faut savoir qu’une fois en pleine montagne, je me sens renaître, je ressens une telle vivacité que je suis prête à soulever des montagnes sans penser à la complexité du parcours ou autre chose. Je reste concentrée sur mon objectif. Je suis très fière de réussir ces challenges, la passion de réussir m’anime tout le temps. C’est ce qui me donne la force pour réaliser mes rêves et d’aller jusqu’au bout pour gravir des sommets très difficiles tel le mont de l’Annapurna. Il m’a fallu 15 heures de marche lors de la dernière journée avant d’atteindre le sommet. Chaque consécration a une saveur particulière. Les défis diffèrent et demandent une préparation adéquate. Mon dernier challenge m’a permis de hisser le drapeau marocain audessus du sommet de l’Annapurna dans l’Himalaya, c’est juste énorme pour moi.
F.N.H. : Le Roi Mohammed VI a loué votre exploit à travers des félicitations amplement méritées. Cette reconnaissance royale vous motive-t-elle davantage pour réaliser d’autres prouesses ?
B. B. : J’ai reçu avec une grande émotion et fierté les félicitations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. C’est une grande reconnaissance qui récompense tous les efforts que j’ai fournis et le travail que j’ai effectué avec acharnement durant toutes ces années. Mon souhait est de toujours bien représenter mon pays, et de hisser le drapeau marocain dans les plus grands sommets, en l’occurrence le mont de l’Annapurna dans l’Himalaya. J’ai souvent côtoyé le danger, cela fait partie du challenge. Mais avec cette consécration royale, je me sens sereine et encore plus forte, animée d’une profonde motivation de continuer sur cette voie de challenge, mais aussi et surtout d’apporter mon expérience aux générations futures. Les former… il y a des idées, il va falloir les nourrir pour travailler le futur de mon pays.
F.N.H. : Comment s’effectue votre préparation pour accomplir de tels exploits malgré votre agenda chargé entre travail et famille ? Y a-t-il des moments où il vous arrive de craquer ?
B. B. : Effectivement, j’ai un planning très minutieux avec au programme plusieurs disciplines. Je travaille beaucoup sur la force physique, je fais énormément de sport. Je m’entraîne trois heures chaque jour. Malgré mon programme chargé, j’essaye de trouver un équilibre entre le domaine sportif, le côté professionnel et ma famille. J’effectue mes tâches et je parviens à remplir mes engagements. Je tiens à soulever un point essentiel, et il concerne le côté psychique. Je travaille énormément sur le mental, pour la simple raison qu’une fois en pleine montagne, le côté psychologique prime considérablement pour supporter la douleur, la fatigue et gérer les émotions. C’est important de travailler sur la persévérance et la patience. Car une fois engagée dans ce challenge, je suis seule face à mes limites. Le mental façonne la résistance. Je ne vous cache pas que parfois je me dis pourquoi je me donne tout ce mal, avec toutes les difficultés que cela comporte. Mais rapidement je me ressaisis; tous ces efforts c’est aussi pour les autres. Donner envie aux générations futures, notre rôle aussi doit être pédagogique. Je suis convaincue que chaque personne a le pouvoir d’apporter sa contribution personnelle pour le bien-être de la société. Jouer un rôle dans mon pays est très important, cela me donne de la motivation supplémentaire. Le partage est l’essence même de la vie.
F.N.H. : Vous avez écrit un livre intitulé «Mon chemin vers les sept sommets du monde», qui mêle sport, exploit et leadership. Quelle en est la finalité ?
B. B. : J’ai pris du recul avant d’entamer l’aventure de l’écriture. Le livre retrace mon histoire et la naissance de Bouchra Baibanou, l’alpiniste entre émotion, tractations et challenge. Il y a une autre partie dans le livre que j’ai intitulée «mes ailes», où je mets en avant mes nombreuses aventures dans ce domaine ô combien complexe. Je mets à la disposition du lecteur les leçons que j’ai apprises lors de mes ascensions aux différents sommets que j’ai gravis. Je souhaite que ce livre soit un guide, un témoin pour les jeunes et les générations à venir. C’est un livre plein de motivation, je veux faire passer un message d’espérance et aller jusqu’au bout de mes rêves, même les plus ingénieux et fous. Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est la bonne motivation, les ondes positives, croire en soi et en nos capacités. Les épreuves et les échecs forgent la personnalité; il faut absolument fuir la négativité, c’est un poison aux répercussions néfastes.
F.N.H. : Vous êtes l’incarnation de l’endurance et du dépassement de soi. Comment comptez-vous apporter votre contribution personnelle aux femmes et aux jeunes pour les initier à cette pratique de l’alpinisme ? À votre avis, la relève existe-t-elle véritablement au Maroc ?
B. B. : Il y a encore du chemin à parcourir pour travailler sur la pratique du sport de montagne au Maroc. J’entends continuer dans ma démarche de former et d’initier, que ce soit au niveau de mon association «Delta évasion» ou à la Fédération royale marocaine de ski et sports de montagne. Mon souhait est de continuer à développer le domaine de l’escalade en faveur de la jeunesse. La tendance actuelle fait que certains jeunes sont attirés par le sport de montagne. La meilleure des choses est de les former et bien les orienter pour qu’ils puissent exceller dans cette discipline 100% endurance. J’ai des idées dans ce sens, et je compte les mettre en pratique pour mener à bien cette mission noble qu’est l’apprentissage. Mon souhait le plus cher est de parvenir à le réaliser au moment opportun. C’est une façon pour moi de participer au rayonnement sportif de mon pays et de développer par la même occasion la situation des filles marocaines.
F.N.H. : Votre passion pour l’alpinisme n’a pas de limites. Quelles sont vos ambitions actuelles ?
B. B. : Pour l’instant, je savoure cet exploit à ma façon. Je compte bien explorer et gravir d’autres sommets, mais à l’heure actuelle, je n’ai qu’une seule pensée : regagner mon pays et profiter de ma famille, car cela fait si longtemps que je suis loin d’elle. Bien évidemment, j’ai des ambitions, et je veux encore réaliser de belles choses. Ce n’est pas faute de motivation, mais je dois d’abord me reposer, bien réfléchir pour prendre les bonnes décisions. J’ai des idées que je ne dévoilerai pas encore. Tout ce que je peux dire, c’est que je suis toujours sur les starting-blocks, prête à tenter l’aventure et réussir de nouveaux challenges.