Il est toujours bon de se faire mousser soi-même pour sentir son utilité. C’est même soporifique de s’auto-congratuler pour faire durer l’apathie. Plus on s’y incline, plus on évite l’éveil et surtout le réveil.
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
Cette théorie de la vacuité auto-satisfaite s’applique à ce vide sidéral qui a littéralement bouffé l’engagement des «écrivains», des «intellectuels», «des penseurs» et autres supposées cautions morales de la société dans ce Maroc d’aujourd’hui où les uns et les autres se gargarisent de leurs posts sur des réseaux connectés en pensant avoir une incidence sur le cours de l’histoire de leur pays.
Dans ce fatras arachnide, beaucoup trop nombreux sont ces «auteurs» du Maroc qui n’ont aucune espèce de présence qui puisse attester de leur vie intellectuelle. Ils sont tout au plus des hommes et des femmes dont le métier est de remplir des pages (souvent illisibles, insipides et vides de substance littéraire véritable). Et de se terrer quand le monde réel les appelle à cor et à cri pour prendre position, pour donner un point de vue sérieux, profond et réfléchi sur le monde et ses travers et mutations, de se mouiller en montant au créneau et en disant et assumant haut et fort une posture limpide sur la vie en société dans un Maroc en proie à de nombreuses mouvances.
Ce Maroc faisant face à l’adversité, réagissant à l’hostilité d’une communauté internationale embrigadée et souvent retorse face à l’affranchissement des nations qui refusent toute tutelle et qui s’affirment comme des États libres et souverains. Curieux tout de même de voir que le pays change à une vitesse soutenue alors que les mentalités dites éclairées sombrent encore dans des archaïsmes hérités d’une autre époque. Et ce, avec des «idéologies» douteuses puisées dans les fonds de tiroir des dogmes éculés du siècle passé et déjà enterrés à plus d’un égard tant les mutations du monde actuel ont été si fulgurantes et si imprévisibles pour l’écrasante majorité de ces «penseurs» du dimanche qui recyclent au kilo des poncifs vieillots et risibles.
Pour cette nouvelle espèce de littérateurs, le but final est de lire des commentaires de circonstance, des monosyllabes superficiels et vaseux, livrés en braderie par des «lecteurs» qui ne vont jamais au-delà du clavier qui s’interpose entre eux et ceux dont ils font «vivre» les mots. Pour cette espèce nouvelle de rimailleurs, il leur faut juste leur dose quotidienne de partages pour se sentir bien et remplis de cette autosuffisance qui est l’amont et l’aval de leur vacuité.
Tout passe pour eux par le prisme de la virtualité. Sans aucun rapport aux multiples réalités de la vie et de l’existence au sein d’une société qui, elle, est tangible, réelle, palpable. Une société qui vibre, qui agit et interagit et qui a grand besoin d’être nourrie par la voix du plus grand nombre d’acteurs véritables pour en soutenir les mécanismes d’avancée, pour servir de socle mobile aux paradigmes mouvants de la pensée.
Cette pensée qui se régénère en suivant de nombreuses sinuosités, toujours résolument tournées vers l’avenir. Pourtant, le spectacle donné par cette tranche de la société est celui d’un groupe coupé des réalités qui trébuchent encore sur des problèmes du passé. Avec cette nostalgie assassine pour tous les sigles et autres abréviations surannés sur fond d’instrumentalisations dogmatiques et démagogiques.
De mémoire de lecteur, je n’ai que rarement vu un écrivain, un écrivaillon ou encore un apprenti scribouillard faire sienne une réelle grande cause nationale ou humaine pour la défendre, pour s’en faire le porte-voix et la porter à bras-le-corps.
À chaque véritable épreuve humaine, sociale ou politique, les «écrivains» ou faut-il dire, pour risquer un jeu de mots futile, ceux qui écrivent en vain, se terrent, s’éclipsent, laissent le vide répondre à leur place par la voix suprême du silence. C’est un art subtil le silence quand il est porteur de signification. Mais quand il est la parfaite traduction du vide, ces «faiseurs de mots» se muent en orpailleurs, en fossoyeurs avides de gloire sans lendemain, pris dans les rets de ce qui pourrait les mettre en avant pour un petit instant (leur petit quart d’heure de pseudo célébrité) qu’ils voudraient bien associer à l’éternité faute de marquer les esprits pour de longues années, avec des écrits puissants, à la dimension universelle.
Et aujourd’hui, en 2023, plus que jamais, la démission de ces «auteurs» autoproclamés est criarde. On ne les voit jamais. On ne les entend jamais. Ils cultivent leur droit au mutisme face à ce qui se joue devant eux et qui les dépasse. Ils revendiquent leur droit à l’immobilité dans un monde qui file à une vitesse vertigineuse. Ils végètent, les méninges embuées par la fatuité et l’infatuation alors que la réalité du monde les somme de se déclarer, de s’annoncer, d’assumer.
Mais en sont-ils capables ? Ont-ils au moins conscience que se taire aujourd’hui est un acte lâche et coupable ? Réalisent-ils que détourner le regard est un acte complice dans un monde où nous sommes tous obligés de réagir, de dire ce que nous pensons, de dénoncer les injustices et les horreurs, de pointer du doigt le crime là où il prospère, de prendre des risques comme on le doit aujourd’hui dans ce conflit ouvert entre le Maroc et la France où plusieurs individus rasent les murs en attendant que la profonde crise passe. Car ces mêmes individus ont des intérêts ailleurs qu’ils veulent bien protéger en évitant de se faire remarquer, pliant l’échine face à la tornade qui frappe de plein fouet les relations entre les deux pays.
Pour certains, ayant des privilèges dans cette France qui tire à boulets rouges sur le Maroc, mieux vaut se taire et se terrer en attendant une éclaircie. Trop à perdre ! Pourtant, quand le ciel est bleu, ces mêmes personnes sont les premières à nous vanter les valeurs fondamentales de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ! Quelle mascarade ! Et quels ponceurs !
Face à cette risée, il n’y a qu’à faire travailler un tant soit peu sa cervelle pour se rendre compte de la vacuité littéraire des littérateurs à la marocaine. Ni textes valables ni prises de positions honorables. Mais des congrès, des invitations, des festivals, des autocongratulations pour se donner l’impression de l’importance. Parce que dans ce trouble jeu de l’écriture, il suffit, parfois, de se donner l’air d’être pour croire en Soi.
Toujours, bien entendu, c’est désormais la règle, avec ce genre de rencontres et de salamalecs pour se donner une présence même illusoire. Dans ce jeu de dupes, la famille des usagers des mots au Maroc tente, en vain, de se rappeler au bon souvenir de tous ceux qui ne croient plus que l’homme de lettres a sa place dans une société qui a longtemps été abandonnée par ceux qui devaient s’en faire l’écho.
Alors, en guise de pseudo présence, ils mettent en avant l’adage qui voudrait que tout est question d’apparences : donnons-nous le spectacle de nous-mêmes pour convaincre les autres que nous sommes les éclaireurs d’horizons trop lointains. Dans cette équation, ce sont toujours les «plumitifs» qui s’en tirent avec le beau rôle. A faire le solde de tout compte du vide, on s’en trouve allégé et un tantinet évanescent, comme les écritures.