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Ramadan, un fil d’or entre la diaspora marocaine et ses racines

Ramadan, un fil d’or entre la diaspora marocaine et ses racines

À chaque lever de lune marquant le début du Ramadan, une même émotion traverse les cœurs des Marocains du monde.

Où qu’ils soient, ce mois sacré réveille une connexion viscérale avec leurs racines, ravivant les souvenirs des ruelles illuminées, du tumulte joyeux des souks à la veille du jeûne et des tables chaleureuses où se mêlent les arômes du Maroc. Pourtant, pour ceux qui vivent loin de leur terre natale, cette période n’est pas toujours facile. Entre adaptation et transmission, il devient un espace où traditions et réalités contemporaines s’entrelacent. 

Dès les premiers jours, un décalage se fait sentir. Au Maroc, le pays semble suspendre son souffle au rythme du jeûne. Les horaires s’assouplissent, les rues s’animent à l’approche du ftour, et les voix des muezzins résonnent à l’unisson. Mais ailleurs, tout continue comme si de rien n’était. À Paris, Montréal, Tokyo, Oslo ou Berlin, les journées s’étirent dans une cadence effrénée, et le moment du ftour se vit parfois en solitaire, face à une table où le silence remplace le bruissement des conversations familiales. 

Pourtant, loin de se résigner, la diaspora marocaine s’emploie à recréer l’ambiance du Ramadan avec la même ferveur. Les marchés exotiques deviennent des escales incontournables, où l’on traque la semoule parfaite pour les baghrir, le miel doré des chebakia et les épices enivrantes de la harira. Mais malgré ces efforts, quelque chose manque toujours : ce n’est pas seulement une question de saveurs, mais d’atmosphère, d’une vibration commune qui unit tout un peuple. 

«Le Ramadan, ce n’est pas juste le jeûne. C’est une symphonie de gestes et de traditions qui nous lient, une émotion que l’on partage, même sans parler», confie Yasmine, installée à Paris depuis vingt ans. À défaut d’être entourés de leurs familles, beaucoup se tournent vers les communautés locales, recréant cette chaleur humaine qui fait l’essence du mois sacré. Dans les mosquées et associations marocaines, les ftours collectifs deviennent des rendez-vous incontournables, où se croisent étudiants, travailleurs isolés et familles en quête de partage. Les tables se parent de mets marocains, préparés avec un amour qui transcende la distance. Plus qu’un repas, ces moments sont une affirmation d’identité, une manière de se raccrocher à ce fil invisible qui relie chaque Marocain du monde à sa terre d’origine. 

Mais le Ramadan en exil est aussi une épreuve d’endurance. Dans les pays occidentaux, il faut jongler entre exigences professionnelles et fatigue du jeûne, expliquer à ses collègues pourquoi l’on décline une pause-café ou pourquoi la concentration vacille en fin de journée. Dans les pays nordiques, l’attente du coucher du soleil peut sembler interminable, avec des journées de jeûne frôlant les vingt heures. 

«Les réunions ne s’arrêtent pas, les obligations restent les mêmes. Mais cette contrainte nous apprend la patience, la maîtrise de soi», raconte Mehdi, cadre à Londres.  Au-delà des défis personnels, c’est aussi un moment où la solidarité prend une ampleur inédite. Chaque année, la diaspora marocaine se mobilise pour perpétuer l’esprit du partage, à travers des initiatives caritatives qui dépassent les frontières. Les iftars solidaires se multiplient, accueillant ceux qui, loin des leurs, cherchent une table où rompre le jeûne dans la fraternité. «Peu importe où nous sommes, l’essence du Ramadan reste la même : c’est un mois où l’on se tourne vers les autres», affirme Rachid, membre d’une association caritative à Bruxelles. 

Autrefois limitée aux cercles familiaux et aux associations locales, la solidarité s'est progressivement transformée avec l'essor du digital. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus de véritables leviers d'entraide, facilitant l'organisation de collectes, la distribution de repas et le soutien financier aux familles en difficulté, aussi bien en Europe qu’au Maroc. Loin d’être un simple outil de communication, le digital permet à la diaspora de rester actrice des élans de générosité qui marquent ce mois sacré. Mais si la technologie rapproche, elle ne remplace pas la chaleur des présences physiques. Pour beaucoup, les appels vidéo sont devenus une bouée de secours, un moyen de recréer l’illusion d’une proximité malgré la distance. «On partage notre ftour par écran interposé, on montre nos plats, on échange des recettes. Ce n’est pas pareil, mais c’est ce qui nous reste», confie Youssef, étudiant à Berlin. 

Cependant, l’un des défis majeurs pour la diaspora marocaine reste la transmission du Ramadan aux jeunes générations nées à l’étranger. Dans un monde où les repères culturels se fragmentent, comment expliquer la valeur du jeûne à des enfants grandissant dans une société où cette pratique est minoritaire ? «J’essaie de leur apprendre que le Ramadan ce n’est pas une privation, mais une richesse intérieure. C’est un moment pour se recentrer, pour penser aux autres», explique Amina, mère de trois enfants à Madrid. 
Mais avec l’omniprésence des écrans et l’influence des modes de vie occidentaux, l’éducation spirituelle et culturelle du Ramadan prend une nouvelle forme. Moins uniforme, plus personnalisée, elle évolue au gré des expériences de chacun. Certains jeunes se réapproprient le jeûne à leur manière, entre introspection et engagement solidaire, tandis que d’autres l’expérimentent à travers les récits de leurs parents, sans toujours en mesurer la profondeur. 

Pourtant, une vérité demeure : le Ramadan unit, le Ramadan relie. Peu importe la distance, peu importe les adaptations, il reste ce fil d’or qui rattache chaque Marocain du monde à son histoire, à sa foi, à sa communauté. Lorsque la première gorgée d’eau vient briser le jeûne, lorsque les prières résonnent dans la nuit, lorsque les messages affluent entre proches séparés par des milliers de kilomètres, c’est la même lumière qui brille, le même sentiment d’appartenance qui transcende les frontières.

 

 

Abdelkhalek Hassini

Enseignant-formateur en France, chroniqueur, conférencier, spécialiste en migration et développement et acteur associatif 

 

 

 

 

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