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Travailleurs saisonniers : Les oubliés ou les “charognards” de l’été ?

Travailleurs saisonniers : Les oubliés ou les “charognards” de l’été ?

Ils montent les parasols sur les plages, servent à table sur les terrasses bondées, gardent les voitures à l’ombre, ou crient “beignets chaud” sous un soleil de plomb. Sans contrat, sans statut, souvent sans respect, les travailleurs saisonniers sont partout mais rarement considérés. L’été, ils deviennent essentiels. Le reste de l’année, invisibles.

À Casablanca, Amine, à peine 16 ans, fend la foule les bras chargés d’un plateau de beignets saupoudrés de sucre. «Beignets chauds !» lance-t-il à la volée, l’odeur de friture flottant derrière lui. Chaque jour, il descend sur la plage d’Aïn Diab avec son oncle, qui les prépare à l’aube. Les bons jours, surtout le week-end, il peut écouler tout son stock avant 14h. Comme lui, des milliers de jeunes tentent de tirer profit de la saison estivale pour gagner quelques dirhams, dans une zone grise entre tolérance et illégalité.

Serveurs sans contrat, plagistes improvisés, gardiens “à gilet”, vendeurs de jouets de plage ou de sandwichs… la plupart travaillent dans l’informel, sans statut, sans protection. Ce sont les rouages invisibles de l’économie touristique marocaine, une économie d’été qui tourne à plein régime, sur le sable… mais hors des radars officiels.

Selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat au Plan (HCP), l’emploi saisonnier ou occasionnel a bondi en 2024 de 29,7% en milieu urbain et de 19,5% à l’échelle nationale. Sa part dans l’emploi global est passée de 10,2% à 12,1%.

Mais cette croissance s’est faite au détriment de la qualité de l’emploi. La majorité de ces postes se concentrent dans des branches précaires : hôtellerie non déclarée, restauration informelle, petits services sans couverture sociale.

Face à l’anarchie qui régnait sur le littoral, le ministère de l’Intérieur a lancé une vaste campagne de libération des plages. Parasols, matelas, chaises… des milliers d’équipements ont été saisis dans plusieurs villes côtières. À Tanger, Fnideq, M’diq ou encore Berkane, les plages ont été restituées aux estivants, souvent contraints auparavant de payer pour poser une serviette sur le sable public.

Le ministère a rappelé que la gestion du domaine public maritime ne relève pas des collectivités locales, et que toute autorisation délivrée à ce titre est illégale. Certains élus sont accusés d’avoir instrumentalisé ces occupations à des fins électorales.

Si cette mesure a été saluée par de nombreux citoyens, elle a aussi plongé des centaines de jeunes dans l'incertitude, privés d’une activité qui, malgré son illégalité, leur permettait de vivre.

Même logique de reprise en main dans les villes. À Casablanca (Aïn Diab) et à Agadir, les autorités locales ont décrété la gratuité des parkings publics, mettant ainsi fin (du moins en théorie) aux pratiques des gardiens informels.

«Je suis venu travailler comme chaque été, mais maintenant, les gens ne veulent plus rien donner», explique Abdeljalil, 38 ans, qui se dit “volontaire de la sécurité” à Ain Diab près du parc Sindibad. Cette mesure, si elle est populaire auprès des automobilistes, a aussi privé de revenus des centaines d’hommes, souvent en situation de grande précarité.

 

Méfiance sociale et mépris ordinaire

En marge de l’économie formelle, les travailleurs saisonniers subissent aussi le poids du soupçon. On les accuse d’arnaquer, de salir, de harceler les touristes. Certains les appellent, non sans mépris, “les charognards de l’été”.

Mais pour beaucoup de Marocains modestes, ces petits services -parfois improvisés, parfois organisés- offrent une alternative aux prix élevés des établissements privés. «S’il n’y avait pas les plagistes, on n’aurait même pas un parasol. Soit tu t’assieds à même le sable, soit tu vas à la plage privée», souffle Fatima, venue de Fès en vacances à Casablanca avec ses enfants.

Le principal défi pour les autorités est de sortir de l’ambiguïté : tolérer ces activités tout en les condamnant, ou mettre en place un encadrement clair, juste, durable.

Certains suggèrent de créer un statut saisonnier officiel, avec des cartes temporaires, des autorisations limitées, des zones dédiées, un cadre sanitaire minimal. D’autres plaident pour l’intégration de ces jeunes dans des dispositifs d’emploi public local temporaire, via les communes ou associations. Mais en l’absence de stratégie nationale claire, les réponses restent ponctuelles, souvent répressives, et ne font que déplacer le problème.

Ces travailleurs de l’été sont indispensables au fonctionnement d’une saison touristique populaire, surtout pour les classes moyennes et modestes. Pourtant, ils ne sont ni comptés, ni protégés, ni reconnus. L’été terminé, ils retourneront à l’informel, au chômage, à l’ombre du bitume. Jusqu’à la prochaine canicule, le prochain maillot, le prochain parasol.

 

Portrait. Rachid, plagiste d’Aïn Diab : “Je fais ça tous les étés depuis dix ans”

Depuis dix étés, Rachid, 32 ans, déplie chaque matin ses parasols sur le sable d’Aïn Diab, du côté de la porte 15, un coin bien connu des habitués pour son calme relatif et pour l’école de surf voisine qui attire son lot de familles. Avec ses deux cousins et quelques amis, ils gèrent un “spot” bien rodé : location de transats, parasols, chaises, et une petite tente de fortune où ils grillent des sardines, préparent des sandwichs, servent du thé, du café et boissons fraîches.
Rachid n’a aucune autorisation officielle, mais son emplacement ne semble pas déranger outre mesure. «Tant qu’on reste tranquilles, qu’on embête personne, ça passe», lâche-t-il dans un demi-sourire. Une forme de tolérance implicite s’est installée, faite de discrétion, d’habitude, et peut-être d'autres équilibres qu’il préfère ne pas commenter.
Les jours de grande affluence, notamment les week-ends, les affaires tournent bien. Très bien, même. Mais Rachid reste vague sur les chiffres. Il sourit : «Ça dépend… il y a des jours avec, et des jours sans».  Ses amis, eux, soufflent à voix basse que les journées de grande affluence peuvent rapporter gros. Mais lui ne s’en vante pas : «C’est pas facile, on court toute la journée, on installe, on sert, on surveille les affaires…»
À la fin de l’été, il reprendra ses petits boulots en ville, dans des snacks ou des chantiers. Ouvrir une vraie paillote légale ? «Ce serait le rêve. Mais faut des papiers, du matériel, des autorisations… et parfois d’autres choses que j’ai pas». Il hausse les épaules. «Pour l’instant, on fait avec».

 

 

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