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Marché du travail : Une légère embellie en trompe-l’œil

Marché du travail : Une légère embellie en trompe-l’œil

Le marché du travail donne des signes de reprise au premier trimestre 2025, mais le taux de chômage demeure encore à un niveau préoccupant, en particulier chez les jeunes et les diplômés. Dans le même temps, le sous-emploi progresse et l’agriculture continue de perdre du terrain.

 

Par D. William

Le haut-commissariat au Plan (HCP) vient de publier sa traditionnelle note d’information sur le marché du travail au premier trimestre 2025. Commençons par les points positifs. L’économie marocaine a créé 282.000 emplois entre le premier trimestre 2024 et celui de 2025, soit un net rebond après la perte de 80.000 postes enregistrée un an plus tôt. La dynamique est essentiellement urbaine : 285.000 emplois ont été générés en ville, tandis que le monde rural a connu une perte de 3.000 postes.

Autre éclaircie : les emplois créés sont majoritairement rémunérés (+319.000), ce qui laisse entendre un recul de l’informel et de la précarité. En parallèle, le nombre d’emplois non rémunérés, souvent associés à l’entraide familiale, a reculé de 37.000 postes. Le taux d’activité, lui, a légèrement augmenté, passant de 42,6 à 42,9%, grâce à une hausse de la population active de 2%.

Le taux d’emploi national progresse aussi de 0,5 point, atteignant 37,2%. Il monte à 34,6% en milieu urbain (+0,8 point) et baisse légèrement en milieu rural (-0,2 point à 42,3%). Une progression salutaire mais modeste, qui masque de fortes disparités selon les sexes et les lieux de résidence. Le taux d’emploi des femmes reste faible (14,8%) malgré une timide hausse, et en milieu rural, il recule légèrement. Quant au chômage, il baisse légèrement au niveau national (-15.000 chômeurs), avec une amélioration notable en milieu urbain (-40.000).

Le taux de chômage passe ainsi de 13,7 à 13,3% entre T1-2024 et T1-2025. Cette amélioration est surtout portée par le milieu urbain, où le taux a chuté d’un point, passant de 17,6 à 16,6%. Mais en milieu rural, c’est une tout autre affaire : le chômage augmente de 6,8% à 7,3%. Même tableau contrasté chez les jeunes où plus d’un sur 3 est au chômage. Le taux de chômage des 15-24 ans grimpe en effet à 37,7%, en hausse de près de deux points, et reste extrêmement élevé chez les femmes (19,9%) et les diplômés (19,4%). Ce qui inquiète davantage encore, c’est le sous-emploi. Ce dernier progresse de manière marquée : +185.000 personnes en un an, atteignant 1.254.000 personnes.

Le taux national de sous-emploi passe ainsi de 10,3% à 11,8%. Le phénomène est plus marqué en milieu rural (14,8%, +2,3 points) qu’en ville (10%, +1 point), mais il concerne désormais tous les secteurs. Le BTP bat le record (22,6%), suivi par l’agriculture (14,4%), l’industrie (7,3%) et les services (9%). Les postes créés sont donc plus nombreux, mais pas toujours de qualité.

Par ailleurs, si les services ont le vent en poupe avec 216.000 postes créés, notamment dans les services sociaux, les finances, le commerce ou les activités de soutien, l’essentiel des emplois générés reste concentré en milieu urbain (156.000), là où les opportunités sont plus nombreuses. L’industrie suit avec 83.000 emplois. Même le BTP, malgré sa vulnérabilité aux cycles économiques, a embauché 52.000 personnes. Mais une autre réalité tempère ces signes de vitalité : le socle agricole de l’économie marocaine est toujours en berne.

 

L’agriculture trinque

Le secteur agricole, pilier traditionnel de l’emploi au Maroc, est en pleine tourmente. Au premier trimestre 2025, il a perdu 72.000 postes. Cela ne représente pas une simple correction conjoncturelle, mais le symptôme d’un malaise structurel qui s’aggrave au fil des années. On le sait, le Maroc vit au rythme des saisons agricoles.

Et ces dernières années, la pluie s’est faite désirer. De fait, les campagnes vivent sous le joug d’un stress hydrique chronique. Le déficit pluviométrique est estimé à quelque 50% par rapport à la moyenne des trente dernières années. C’est dire que les récentes pluies, bien qu’elles améliorent la situation hydrique, ne changent pas fondamentalement la donne  : les barrages sont remplis autour de 40%, les nappes phréatiques sont en déclin et la productivité agricole chute. La production céréalière de la campagne 2023-2024, par exemple, n’a pas dépassé 32,1 millions de quintaux, avec un recul de 4,7% de la valeur ajoutée agricole.

Pour 2024-2025, on attend un rebond à 44 millions de quintaux (+41%), mais même cette amélioration reste loin des niveaux nécessaires pour relancer durablement l’emploi rural. Or, près de 40% de la population active dépendent directement ou indirectement de ce secteur. C’est dire à quel point la sécheresse affecte l’ensemble du tissu socioéconomique. Chaque fois que l’agriculture vacille, ce sont des milliers de ménages qui perdent des revenus et une certaine stabilité. Cela entraîne l’accentuation de l’exode rural et une pression accrue sur le marché du travail urbain. Pis encore, la volatilité du secteur agricole agit comme un frein à la croissance globale. En 2022, une mauvaise campagne avait fait chuter la croissance à 1,5%. En 2023, avec une récolte un peu meilleure, elle a grimpé à 3,4%, puis 3,2% l’année suivante. En 2025, on espère atteindre 3,9%… L’agriculture reste ainsi ultra-sensible au climat et fragilise la croissance, d’autant que le PIB non agricole n’est pas encore suffisamment robuste, même s’il se renforce de plus en plus.

 

La riposte du gouvernement

Devant une telle situation, l’Etat a réagi à travers des subventions, des aides ciblées ou encore des programmes de dessalement ou de réutilisation des eaux usées. Des investissements colossaux ont été engagés (143 milliards de dirhams) pour garantir la sécurité hydrique du pays à l’horizon 2030. L’objectif étant d’atteindre 1,7 milliard de m³ d’eau dessalée par an, avec Casablanca en tête de pont grâce à sa future méga-station alimentée à l’énergie verte. Mais cette stratégie, aussi ambitieuse soit-elle, ne portera ses fruits que sur le long terme.

Dans l’immédiat, les agriculteurs continuent de subir. Et les pertes d’emploi en milieu rural montrent que le Maroc ne peut plus fonder sa stabilité sociale sur un secteur aussi vulnérable. C’est pourquoi d’ailleurs le modèle agricole actuel est sujet à caution. Et les débats s’intensifient sur les cultures à forte consommation d’eau comme l’avocat, la pastèque ou certains agrumes. Fautil les restreindre ? Les interdire dans certaines régions ? Réorienter les productions vers des cultures de base, sobres et résilientes ?

Ces choix sont autant économiques qu’environnementaux. Mais ils sont surtout urgents. La Banque mondiale l’a d’ailleurs rappelé : chaque point de croissance agricole peut entraîner 0,4 point de croissance du PIB. L’inverse est tout aussi vrai. Voilà pourquoi la crise agricole actuelle tire mécaniquement vers le bas l’ensemble de l’économie nationale.

A ce constat, s’ajoute un fait désormais établi : pour créer suffisamment d’emplois et absorber les flux de jeunes actifs, le Maroc a besoin d’une croissance d’au moins 6% sur plusieurs années. Pour l’instant, on en est loin. «Le régime de croissance économique au Maroc demeure intensif en capital et, conséquemment, peu créateur d’emplois. En témoigne la stationnarité du taux d’accumulation du capital sur les vingt dernières années, avec une contribution constamment positive à la croissance économique, sauf en 2020 du fait du choc sanitaire», nous confiait récemment Hachimi Alaoui, professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche. Et d’ajouter que «l’élasticité du travail à la valeur ajoutée ainsi que le contenu en emploi de la croissance économique demeurent relativement faibles au Maroc».

Il est donc clair que le Royaume doit opérer un changement profond de modèle pour, entre autres, sortir d’une croissance dépendante du climat, renforcer le tissu industriel et, surtout, revoir en profondeur le système de formation. Trop de jeunes diplômés se retrouvent aujourd’hui piégés dans des filières sans avenir ou dans des emplois sans rapport avec leur formation. Raison pour laquelle le gouvernement a annoncé une nouvelle feuille de route pour l’emploi en mettant au total 15 milliards de dirhams sur la table. Les objectifs sont clairement circonscrits : encourager les investissements à forte valeur ajoutée, améliorer l’efficacité des dispositifs d’insertion, soutenir l’emploi rural et miser sur la formation professionnelle.

Tiendra-t-elle ses promesses ? Répond-elle aux besoins des 1,6 million de Marocains qui guettent désespérément la moindre opportunité professionnelle ? C’est à voir. En tout cas, tous les dispositifs déployés par l’Exécutif jusqu’à présent sont perçus comme des rustines conjoncturelles qui peinent à corriger les déséquilibres structurels du marché du travail. 

 

Emploi : Une stratégie articulée autour de l'offre et de la demande
Le ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, a annoncé, lundi à la Chambre des représentants, l’adoption par le gouvernement d’une nouvelle feuille de route en matière d’emploi. Celle-ci repose sur une approche intégrée, articulée autour de deux axes complémentaires : l’offre et la demande sur le marché du travail. Selon Sekkouri, les stratégies précédentes étaient essentiellement centrées sur la demande, à travers notamment la formation des chercheurs d’emploi et leur insertion sur le marché. Désormais, la vision s’élargit pour inclure également l’offre, c’est-à-dire les opportunités générées par les secteurs productifs. A ce titre, le ministre a annoncé la mise en place d’un Comité interministériel dédié au suivi de la création d’emplois. Chaque ministère se voit désormais assigner des objectifs précis en matière d’emploi, avec une responsabilité directe en cas de pertes de postes dans son périmètre. Pour soutenir cette dynamique, un budget de 15 milliards de dirhams a été mobilisé en faveur de l’investissement destiné aux PME. Ce soutien s’inscrit dans le cadre d’un décret couvrant des investissements allant de 1 à 50 MDH, à condition qu’ils soient générateurs d’emplois de qualité. Parallèlement, le gouvernement a lancé un programme de soutien ciblant plus de 110.000 TPE et auto-entrepreneurs. Ce dispositif prévoit la prise en charge partielle des dépenses opérationnelles (OPEX) et des investissements (CAPEX), incluant notamment la location d’équipements, la rémunération des employés et l’achat de matériels. Sur le volet demande, le ministre a mis l’accent sur l’importance de la formation par apprentissage, qualifiée de levier efficace d’insertion professionnelle. L’objectif est de faire passer le nombre de bénéficiaires de ce système de 24.000 à 100.000, avec un appui budgétaire de 500 MDH. Le ministre a par ailleurs évoqué la réforme en cours de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC). Cette restructuration vise à améliorer le ciblage des chercheurs d’emploi, notamment ceux sans diplôme ni certificat. Il a rappelé que le dernier rapport du HCP fait état de 910.000 chômeurs dépourvus de tout diplôme, une catégorie à laquelle des programmes spécifiques ont été consacrés.

 

 

 

 

 

 

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