L’étude d’impact sur les implications de l’adhésion du Royaume vient d’être rendue publique. Jeune Afrique a pu accéder à cette étude et l’a publiée. Nous vous livrons l’intégralité des conclusions de cette étude.
Le présent rapport examine les implications potentielles de la demande d’adhésion du Maroc à la CEDEAO. Il analyse le scénario où cette adhésion serait validée, conformément aux réalisations et à l’agenda de l’intégration régionale.
Il insiste sur les implications d’ordre juridique et politique de cette adhésion, y compris les implications sur le plan de la paix et de la sécurité pour la sous-région Afrique de l’Ouest. Les implications potentielles sur la situation économique communautaire ont également été étudiées, en mettant l’accent sur la convergence macroéconomique, le commerce, l’investissement et l’agriculture.
L’analyse montre ainsi que si l’élargissement de la CEDEAO au Maroc peut potentiellement apporter de la valeur ajoutée à l’économie sous-régionale, renforcer la stabilité de la sous-région ainsi que l’influence du bloc CEDEAO, il y a toutefois lieu de se pencher de près sur certaines implications négatives. Du point de vue juridique, trois scénarios, potentiels peuvent être formulés comme suit :
- En cas de consensus au niveau du Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO, un projet d’Acte additionnel relatif à l’adhésion du Royaume du Maroc à la CEDEAO doit être pris, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la révision du Traité;
- Ce mécanisme de l’Acte additionnel permet aux Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO d’analyser au cas par cas les demandes d’adhésion des États tiers.
- En cas d’acceptation de l’adhésion, les questions relatives à la Libre circulation des personnes et des biens, le droit de résidence et d’établissement, la monnaie unique, le TEC CEDEAO ainsi que les aspects techniques de tout genre dans les futures relations entre la CEDEAO et le Maroc exigent un délai de transition.
Du point de vue de la politique, de la paix et de la sécurité, on peut souligner que :
- Les capacités militaires, d'équipement et la capacité économique du Maroc seront un atout important aux efforts régionaux de paix, de sécurité et de stabilité de la CEDEAO, notamment dans les domaines des opérations de maintien de la paix, de lutte contre le terrorisme.
- Selon l'article 2.2 du Traité révisé de la CEDEAO, les Etats membres de la Communauté, ci-après dénommés "les Etats membres", devront être les Etats qui ratifient le présent Traité. Sur la base de la Résolution de l'OUA CM / RES.464 (XXVI) et de l'Article 2.2 du Traité Révisé de la CEDEAO, le Maroc étant un pays d'Afrique du Nord;
- En tant que bloc régional, la CEDEAO devrait anticiper la manière de traiter la question du territoire du Sahara Occidental, car elle constitue un potentiel facteur qui pourrait créer des divisions entre les États membres actuels dans le cas où le Maroc se verrait accorder l'adhésion au bloc régional.
- La libre circulation des personnes est une réalisation clé pour la CEDEAO qui doit être pleinement mise en œuvre dans tous les États membres.
Au plan macroéconomique, on retient que :
- Le Maroc respecterait la plupart des critères de convergence si elle était actuellement membre de la Communauté;
- Les tendances passées et à venir n’indiquent aucun risque majeur sur l’économie marocaine;
- Il y a aussi de signaux positifs indiquant que les efforts déployés au niveau sous-régional en vue de l’établissement d’une monnaie unique ne seront pas négativement affectés par l’introduction d’une nouvelle monnaie dans la structure monétaire actuelle de l’Afrique de l’Ouest.
Sous l’angle commercial, les analyses indiquent que :
- La structure tarifaire marocaine (17785 lignes tarifaires) est bien plus détaillée que celle de la CEDEAO (5899 lignes tarifaires), ce qui va nécessiter d’important efforts de préparations;
- Les multiples Accord d’association et l’accord de partenariat économique sont des accords différents dans leur nature, qui de ce fait nécessitera éventuellement de longues négociations et d’importants efforts de rapprochement;
- La dépendance du Maroc vis-à-vis des pays de la CEDEAO comme source des importations a diminué au cours des deux dernières décennies. En dépit d’un net rebond à 334 millions de dollars en 2011 (le plus élevé durant la période considérée);
- En termes d’échanges commerciaux, la CEDEAO est en moyenne significativement plus protectionniste à l’égard du Maroc que le Maroc ne l’est à son égard;
En termes d’investissement direct, il peut être relevé que :
- L’adhésion du Maroc à la CEDEAO pourrait entraîner un net renforcement des relations d’investissement entre le Maroc et les États membres actuels de la Communauté;
- L’attractivité des investissements de la CEDEAO en général pourrait également s’accroître, de même que celle du Maroc;
Au plan agricole :
- Le marché de l'élevage et des produits laitiers au Maroc semble offrir une opportunité lucrative pour le secteur de l'élevage dans les États membres actuels de la CEDEAO, en raison de tarifs d'importation relativement bas. Cependant, il reste beaucoup à faire au niveau des pays de la CEDEAO pour que leurs exportations de produits d'élevage soient compétitives.
- En ce qui concerne les produits laitiers, la part de la CEDEAO dans le marché marocain est insignifiante. Alors que les importations marocaines de produits laitiers atteignaient 286 millions de dollars en 2016, les exportations totales de produits laitiers de la CEDEAO y représentaient seulement 130 000 dollars, soit 0,05%. En conséquence, l’adhésion du Maroc, dans l’hypothèse d’une exonération douanière totale pour le commerce intra-communautaire, y compris pour les produits laitiers, pourrait transformer son marché des produits laitiers en stimulateur du développement du secteur laitier en CEDEAO.
Au niveau du secteur industriel :
- En raison de la différence de niveau de développement industriel entre le Maroc et les Etats membres actuels de la CEDEAO, il est nécessaire de mettre en place des mesures de mise à niveau pour les industries nationales dans les Etats membres.
En conclusion, il importe de rappeler d’une part qu’après le Maroc, d’autres pays pourraient demander à adhérer à la CEDEAO. La CEDEAO devrait donc réexaminer de plus près ses préconditions
d’adhésion. Faute de temps, une analyse exhaustive des implications en termes de recettes (gains ou pertes) pour chaque État membre de la CEDEAO n’a pu être faite, étant donné que la plupart d’entre eux ont un budget basé sur les taxes.
Il est aussi nécessaire de procéder à un examen minutieux des implications par secteur liées à l’adhésion du Maroc au Traité et au TEC. Cet examen doit également s’inscrire dans le contexte global de la mise en œuvre future de l’accord de libre-échange continental (ALEC) en cours de négociation. En tout état de cause, cette analyse doit être faite pour accompagner le processus de négociation.
La Commission aura besoin d’être fortement soutenue par les dirigeants de la CEDEAO pour travailler dans ce sens.